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Primo Levi a souvent confié que s'il n'avait pas été déporté à Auschwitz ? jamais il ne serait devenu un écrivain. Parce qu'il a éprouvé le besoin irrépressible de témoigner de l'horreur du lager, il a été contraint d'écrire. Il a longtemps pensé qu'écrire avait été, pour lui, l'équivalent d'une cure analytique et qu'après Auschwitz, il avait pu mener, grâce à son écriture, une vie d'homme libre. Mais il a découvert les limites obligées du témoignage, que ce soit le sien ou celui d'autres survivants, et il en a été accablé.
Parmi ces autres, il s'est intéressé au philosophe Jean Améry et au psychanalyste Bruno Bettelheim. Loin de les encenser, il leur a manifesté une hostilité, presque radicale pour Bettelheim, plus insidieuse pour Améry. Dans le même temps, il a reconnu, consciemment pour Améry, à son insu pour Bettelheim, la pertinence de leur témoignage. Sa férocité à leur égard a peut-être été l'un des derniers remparts qu'il a tenté d'ériger pour ne pas voir et ne pas entendre la vérité qui était pourtant la sienne et qu'aucun témoin n'a pu complètement saisir, cette vérité pouvant être tout en plus entr'aperçue car disparaissant au moment même où les mots la révèlent.