Les rapports entre la science et les langues se sont inscrits, depuis le Moyen Age, entre le constat de l'irréductible multiplicité des langues nationales et l'aspiration à la restauration (ou l'invention) d'une langue universelle. Le dossier ici présenté, qui n'entend pas prendre directement position dans les débats d'aujourd'hui mais de comprendre, dans la longue durée, les enjeux épistémologiques et sociaux des choix linguistiques, est organisé à partir de trois contrastes. Le premier oppose les langues vernaculaires en leur infinie diversité et la langue universelle qui, parce qu'elle est originaire, rétablit une unité première. Au fil des siècles, l'hébreu, le latin, l'égyptien, le chinois, ont tenu le rôle de cette langue primordiale dont l'universalité retrouvée permettait de refermer les déchirures nées de la multiplication des langues nationales. Un second clivage oppose langues naturelles et langue parfaite. Seule cette dernière peut assurer une adéquation absolue et exhaustive entre les signes et les réalités. D'où la quête sans relâche, depuis la Renaissance, et même avant, de cette langue idéale de la science qui, selon les cas, consiste soit en un langage formel, construit sur le modèle mathématique, soit en une langue philosophique, ou encore en une langue artificielle. Toutes ces propositions partagent une commune certitude, à savoir que le rapport entre les signes et les choses peut être transparent, sans reste ni écart. Enfin, vient l'opposition entre langues vernaculaires et langues véhiculaires. Ces dernières promettent comme une universalité de substitution, réservée à certains usages, à certaines communautés. Il en allait ainsi avec le latin de la République des lettres (qui était aussi, ou surtout, celle des sciences) entre Moyen Age et XVIIe siècle, puis avec certaines nationales devenues langues véhiculaires pour tel ou tel domaine du savoir. Il en va ainsi avec l'anglais dans la communauté scientifique contemporaine. Préférences et résistances sont ici gouvernées par des rapports de force linguistique qui expriment, à leur manière, d'autres inégalités.