Il arrive qu’un livre étonnant parvienne jusqu’à vous, un de ces romans qui résonne encore longtemps au fond de votre âme. On se demande ce qui a pu provoquer en vous un tel mouvement d’adhésion dès les premières pages. La densité de l’écriture? La qualité du récit? La puissance des personnages? La réponse n’est jamais simple car cette adhésion profonde à une oeuvre est toujours un composé complexe profondément lié à la psychologie du lecteur.
Le second roman de Pablo Gutiérrez remarquablement traduit par Florence Cuillé appartient à cette catégorie des
oeuvres inclassables qui portent en elles quelque chose de notre monde et l’exprime avec une acuité qui tourne parfois à la virtuosité. “Rien n’est crucial” décode le monde contemporain à travers la trajectoire de deux adolescents. D’un côté Margarita (ou Marga, ou Magui), gamine solitaire dont la mère, divorcée, a d’abord sombré dans la dépression avant de se lier à un nouveau compagnon abîmé dans ses certitudes. De l’autre Lécumberri (ou Antonio, ou Lécou) a été enlevé à des parents méchamment junkies par le créateur illuminé d’un mouvement catholique charismatique qui cherche à influencer l’Église d’Espagne. A travers des plongées successives dans le passé des deux enfants et la voix d’un narrateur dont le lecteur identifiera l’origine que très tardivement dans le récit, Pablo Gutiérrez parvient à travers le regard naïf des deux enfants à tracer les lignes de fuites d’une société examinée avec une cruelle ironie. “Il n’était ni philosophe, ni métaphysicien, ni poète, mais il comprenait à sa manière, c’est-à-dire sans mettre de mot sur cette pensée à lui, que la résignation chrétienne (ou néochrétienne, ou protochrétienne, c’était pareil) était la bouche d’égout par laquelle s’écoulait le mensonge vagabond qu’avait été sa vie jusqu’ici. »
Se porter au niveau de la psychologie d’un enfant à différents moments de son développement mental n’est pas donné à tous les écrivains. A ce titre le séquençage des souvenirs de Margarita et de Lécumberri est tout à fait remarquable par sa fluidité et par le rythme qu’il donne au texte. La brutalité du monde déferle, à travers le récit, comme un torrent déchaîné entraînant dans son courant boueux bien des impuretés de l’histoire espagnole et qui s’apaisera finalement dans l’émerveillement et la contemplation d’une beauté renouvelée. Un conte éblouissant d’inventivité et d’une puissance d’écriture à crever toutes les Rocinante de la littérature ibérique et dont on ressort secoué mais conscient d’avoir vécu un grand moment de lecture. En résumé, un grand livre …
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)
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Il arrive qu’un livre étonnant parvienne jusqu’à vous, un de ces romans qui résonne encore longtemps au fond de votre âme. On se demande ce qui a pu provoquer en vous un tel mouvement d’adhésion dès les premières pages. La densité de l’écriture? La qualité du récit? La puissance des personnages? La réponse n’est jamais simple car cette adhésion profonde à une oeuvre est toujours un composé complexe profondément lié à la psychologie du lecteur.
Le second roman de Pablo Gutiérrez remarquablement traduit par Florence Cuillé appartient à cette catégorie des oeuvres inclassables qui portent en elles quelque chose de notre monde et l’exprime avec une acuité qui tourne parfois à la virtuosité. “Rien n’est crucial” décode le monde contemporain à travers la trajectoire de deux adolescents. D’un côté Margarita (ou Marga, ou Magui), gamine solitaire dont la mère, divorcée, a d’abord sombré dans la dépression avant de se lier à un nouveau compagnon abîmé dans ses certitudes. De l’autre Lécumberri (ou Antonio, ou Lécou) a été enlevé à des parents méchamment junkies par le créateur illuminé d’un mouvement catholique charismatique qui cherche à influencer l’Église d’Espagne. A travers des plongées successives dans le passé des deux enfants et la voix d’un narrateur dont le lecteur identifiera l’origine que très tardivement dans le récit, Pablo Gutiérrez parvient à travers le regard naïf des deux enfants à tracer les lignes de fuites d’une société examinée avec une cruelle ironie. “Il n’était ni philosophe, ni métaphysicien, ni poète, mais il comprenait à sa manière, c’est-à-dire sans mettre de mot sur cette pensée à lui, que la résignation chrétienne (ou néochrétienne, ou protochrétienne, c’était pareil) était la bouche d’égout par laquelle s’écoulait le mensonge vagabond qu’avait été sa vie jusqu’ici. »
Se porter au niveau de la psychologie d’un enfant à différents moments de son développement mental n’est pas donné à tous les écrivains. A ce titre le séquençage des souvenirs de Margarita et de Lécumberri est tout à fait remarquable par sa fluidité et par le rythme qu’il donne au texte. La brutalité du monde déferle, à travers le récit, comme un torrent déchaîné entraînant dans son courant boueux bien des impuretés de l’histoire espagnole et qui s’apaisera finalement dans l’émerveillement et la contemplation d’une beauté renouvelée. Un conte éblouissant d’inventivité et d’une puissance d’écriture à crever toutes les Rocinante de la littérature ibérique et dont on ressort secoué mais conscient d’avoir vécu un grand moment de lecture. En résumé, un grand livre …
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)