Faire partie de l'aventure de la rentrée littéraire implique, au-delà de pouvoir faire de magnifiques découvertes (Retour à Little Wing de Nickolas Butler, Le bonheur national brut de François Roux), de se retrouver avec entre les mains des livres qui n'auraient eu aucune chance de s'y trouver en temps normal. C'est le cas pour ma part d'Orphelins de Dieu de Marc Biancarelli, spécialiste de la langue corse qui, après plusieurs ouvrages écrits en langue corse dont le remarqué Murtoriu publié en 2009 et traduit par son ami Jérôme Ferrari en 2012 sous le tire Ballade des innocents, a
rédigé ce dernier roman directement en français.
M'apparaissant d'un premier abord comme un OVNI littéraire, Orphelins de Dieu n'est finalement qu'une transposition du mythe du western dans la campagne corse de la fin 19ème siècle. Un histoire de vengeance. Celle de Vénérande une jeune fille vivant recluse avec son frère au milieu de la garrigue, qui pour assouvir sa soif de vendetta convainc Ange Colomba alias L'Infernu, ancien aventurier-mercenaire louant désormais ses services comme tueur à gages. Aussi téméraire que persuasive, Vénérande lui fait épouser sa cause et tous deux partent dans une traque sanguinaire à la poursuite des trois frères Santa Lucia, qui après avoir dérobé les porcs de la famille, ont sauvagement mutilé Charles-Marie ce frère, témoin du méfait, en le défigurant et lui tranchant la langue afin qu'il ne puisse les dénoncer.
C'est alors qu'au grès de leur chevauchée, Ange, à l'orée de sa vie, s'épanche et, dans un habile procédé narratif où, au milieu de leur progression, s’entremêlent en flash-back, les épisodes les plus marquants de son existence passée, de sa jeunesse à la décision fondatrice de refuser la circonscription bonapartiste, menant ensuite au milieu d'une bande de mercenaires les guerillas d'indépendance en Corse, en Italie et jusqu'en Grèce où la frontière entre patriotisme et brigandage est souvent bafouée.
D'une écriture transpirant son amour pour la Corse et d'où le lyrisme le dispute à la rudesse et la à plus grande cruauté, évitant par bonheur les longueurs, écueils dans le lesquels il aurait été si facile de tomber, Marc Biancarelli nous emporte dans cette quête épique jusqu'au face à face à final, digne -oui c'est bien cela- des plus grands westerns hollywoodiens.
Tiens, je me ferai bien un petit Sergio Leone moi ce soir...
AL
Morceaux choisis:
"- Laisse tomber. Je pense que tu es complètement folle. Comme les folles sont plus ou moins sacrées, je t'épargne. Et je te violerai une autre foi. De toute façon, avec tes obsessions homicides, ça m'étonnerait que tu perdes ton temps à me balancer. Maintenant laisse moi partir.
- Mes quoi?
- Tu te feras expliquer ça par quelqu'un d'autre. En plus tu es ignorante. Sans compter que tu n'es pas jolie, mais le plus gros défaut c'est quand même ton ignorance."
"Dans sa jeunesse, Ange Colomba avait donc fait couler beaucoup de sang, et parfois, aussi, coupé des têtes. Lorsque cela s'était avéré judicieux,, ou qu'il l'avait imaginé de la sorte. Evoquer son nom, c'était évoquer un diable en action, c'était appeler sur soi le mal absolu. Alors ainsi l'appelait-on L'Infernu, l'Enfer, et ce triste anthroponymie avait depuis bien longtemps enfoui dans la plus grande insignifiance sa véritable identité. Sans doute dans une autre vie, avait-il été l'un des plus jeunes contumaces à accompagner les bandes funestes qui avaient désolé le pays, mais le temps des rébellions était passé, et comme nombre de rebelles qui se retrouvent sans solde un beau matin, L'Infernu n'avait dû qu'à sa reconversion comme tueurs à gages de pouvoir encore alimenter les abjectes et innombrables chroniques funéraires."
"Faustin hurla comme une bête lorsqu'il vit le couteau, puis encore plus fort lorsqu'il sent qu'on lui rabotait les oreilles. Mais étonnamment la douleur était moins grande que la peur. L'Infernu avait agi vite, de manière cruelle, certes, mais somme toute assez généreuse, sans s'attarder sur la découpe, tranchant dans le vif plutôt que cisaillant, et de plus il avait une bonne lame, affûté à merveille, pas un outil qui accroche, ou une ripe, et à ce moment-là c'était appréciable. Le sang chaud coulait maintenant des deux côtés de la tête de Faustin le Rat, et il ne criait plus, parce que l'Infernu lui écrasait la bouche d'une main, et lui visait l’œil avec la pointe du couteau de l'autre."
AL
http://blowawaydandelion.blogspot.fr/2014/09/rentree-litteraire-orphelins-de-dieu-de.html
Trop violent pour moi
En ce qui concerne l'écriture, je n'ai pas été déçue.
La plume de cet auteur que je ne connaissais pas est très belle, très soignée.
Les chapitres alternent entre le récit de l'Infernu qui revient sur sa vie et celui de la quête de Venerande.
Le choix des mots est visiblement très précis, les phrases sont ciselées et certains passages m'ont vraiment semblé très beaux.
L'évocation des paysages, notamment, est particulièrement soignée.
Il faut dire qu'il s'agit de paysages corses, une île qui est réputée pour ses décors.
Le lecteur est plongé dans les montagnes, sur les falaises ou dans les bois et suit l'Infernu dans sa quête.
Ce que j'ai à reprocher à ce roman est à la fois en opposition et en accord avec ces paysages.
Les falaises sont ciselées, abruptes, les montagnes sont vides et brutales comme certains Corses peuvent l'être (d'après l'image que l'on véhicule d'eux).
Mais il se dégage aussi un calme serein de ces évocations.
Or, les scènes qui s'y déroulent sont d'une violence incroyable !
Je ne crois pas être une petite nature, mais quand je lis un roman, s'il y a des scènes violentes, je préfère qu'elles soient justifiées.
Elles le
sont ici, mais l'accumulation m'a laissée de marbre.
Vous connaissez l'expression : "trop de violence tue la violence".
C'est ce qui m'est arrivé.
A la énième scène de torture, de meurtre, de coup, j'ai cessé de me sentir concernée et les pages ont défilé sans que cela me touche.