Nietzsche n'a jamais prétendu appartenir à la moindre école ou chapelle. Pas même à celle des philosophes. C'est ce qui fait sa force. Mais aussi ce qui le rend suspect aux yeux des bien-pensants. Ils ont été nombreux, ceux qui auront tenté de faire parler sa pensée, de lui faire intégrer le camp d'une vérité. Le travail d'exégèse est proprement colossal. " A présent, je vous ordonne de me perdre et de vous trouver vous-mêmes ; et ce n'est que lorsque vous m'aurez tous renié que je reviendrai parmi vous. [...] Tous les dieux sont morts : nous voulons maintenant que le Surhomme vive ! Que ceci soit un jour, au grand midi, notre suprême volonté ! (Ainsi parlait Zarathoustra.) Ce Nietzsche (Qui suis-je ?) montre que l'œuvre est à l'image de l'homme et de l'esprit qui l'a conçue : jaillissante, poétique, erratique, aristocratique, imprévisible, contradictoire, surprenante. Elle ne peut laisser quiconque indifférent. " Sois celui que tu es ", commande Nietzsche à son lecteur. Et, pour ce faire, commençons par renverser les vieilles idoles et les vieilles valeurs. Commençons par faire le choix d'une grande santé. Mais Nietzsche explore bien d'autres directions : Grand Midi, Eternel Retour, Volonté de Puissance, art, morale, tragédie grecque, affirmation dionysiaque de la vie... Une telle singularité dans la pensée occidentale, qui recourt à la fois à l'héritage grec et à l'individualisme, ne peut être lue selon une logique manichéenne. La pensée de Nietzsche, si l'on accepte de la parcourir sans préjugés et sans certitudes, se tient loin de tout conformisme, de toute " retranscription " forcément abusive. Nietzsche ne pratiquait pas la langue de bois. Il a fait le choix de " philosopher à coups de marteau " pour formuler sa pensée. Il a rendu à l'action et à l'instinct leurs lettres de noblesse. Mais il a fait bien plus que cela : il a osé revisiter des principes qui ont toujours appartenu à l'Europe des origines, trop étouffés sous vingt siècles d'éducation judéo-chrétienne. Il est un éveilleur que les âmes nobles et fortes se doivent de connaître et de fréquenter.