" Pourquoi n'était-il pas resté là-bas, à Vérone, où tout le monde le connaissait, pourquoi avait-il laissé sa stupide ambition le déporter vers cette Venise étrangère où, à peine parvenu sur les bords de la lagune, tous le dévisageaient ? " L'homme dont il s'agit s'appelle Niccolo Tartaglia. Son nom est dans les dictionnaires, et ses dates (vers 1499-1557). Il fut, en face de Jérôme Cardan - son seul rival -, le plus grand mathématicien de la Renaissance. Comme le détail de sa vie, à fort peu près, ne nous est pas connu, Dieter Jërgensen s'est autorisé à " rêver " son existence, seule façon honnête, selon Nietzsche, de faire de l'Histoire. Et seule façon, nous semble-t-il, de fabriquer un récit qui échappe à la convention. Nous sommes donc en 1534 et Niccolo, un brin ahuri malgré sa science déjà grande, découvre la ville des Doges... et la folie des hommes. Il franchit les portes du ghetto, distribue des cartes de visite et se met à la disposition de ceux qui pourront, espère-t-il, tirer utile profit de son savoir... Utile profit... Naïf Niccolo, qui à son age ne s'est pas encore vraiment interrogé sur les pièges de l'Utile... non plus que sur les vertus de l'Inutile. C'est qu'il a toujours été timide - sauf lorsqu'il est seul devant le tableau noir où il fait courir sa craie... Que l'innocent lecteur ici se rassure : pour suivre en ses subtilités la singulière aventure de Tartaglia, point n'est besoin d'entendre goutte aux mathématiques. Dieter Jörgensen, fort savant lui-même, a eu la courtoisie de rendre limpides à notre esprit les enjeux du débat... Les romanciers allemands d'aujourd'hui, on le sait depuis Süskind et son Parfum, ont une façon bien à eux, " philosophale " presque, d'appréhender - et de pervertir - ce qu'on appelle, faute de mieux, le " roman historique ". Dieter Jörgensen, dont c'est ici le premier roman, s'est abreuvé, on l'aura compris, aux meilleures sources.