L'Annonciation dans tous ses états

Le Trouble (Conturbatio), la Réflexion (Cogitatio), l'Interrogation (Interrogatio), et finalement la Soumission (Humilatio) sont les temps forts de la rencontre de Gabriel avec Marie, véritable Mystère dont la représentation était mise en scène dans les rues de Florence ou de Sienne au XVe siècle quand venait la fête de l'Annonciation le 25 mars. Et les peintres ont eux aussi pris soin que l'on puisse entrer dans le tableau comme dans un Colloque, en sachant pratiquement à quel point de leur entretien se trouvaient les deux protagonistes : une main gauche levée pour signaler que l'arrivée de l'Ange a tiré Marie de sa lecture, puis une main droite sur le cœur pour marquer la gravité reconnue de la salutation, une main droite levée comme pour suspendre le discours de l'Ange et poser une question - la seule, d'ailleurs, de cet entretien -, et aussitôt après, les deux mains croisées sur le cœur dans la totale acceptation des voies du Seigneur, toutes ces attitudes de Marie sont figurées avec précision pour nous permettre de suivre la narration. Mais cette codification apparemment respectée par les artistes du temps de la Renaissance ne saurait masquer pour autant les incroyables libertés qu'ils ont prises, parfois peut-être à leur insu, et qui viennent soudain subvertir le thème religieux pour le tirer vers des interprétations dont le spectateur est en droit de se demander s'il en est l'auteur potentiellement sacrilège, ou si elles lui sont irrésistiblement suggérées. Une étrange ambivalence semble donc régner autour de la féminité de Marie et de ce moment où se noue son destin qui, par son unicité même, rejoint paradoxalement celui de toutes les femmes qui découvrent leur capacité d'enfanter. Et les peintres, aussi soucieux soient-ils de la représentation religieuse de ce moment qui fonde l'Eglise, n'ont pu malgré tout échapper au cortège de renversements d'émotions que porte en elle l'Annonciation, avec ses recouvrements successifs d'effroi, de séduction, d'inquiétude et de soumission. Ce court voyage à travers les images italiennes du Trecento au Cinquecento essaie d'en restituer la force.