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"Des jours et des nuits déjà que nous filons à travers la Russie. Nuits sombres pendant lesquelles vous vous réveillez dans le train et le bruit des roues qui tournent et vous répètent, encore et encore : "Vers l'est ! Vers l'est !". Seconde après seconde, chaque tour de roue engloutit un peu plus votre chez vous et vous ouvre les portes d'un lointain sans limites. Votre environnement familier s'estompe et vous vous enfoncez dans l'obscurité de la nuit et dans celle, plus profonde encore, de l'inconnu.
Moment inoubliable que celui où éclôt pour la première fois dans la bouche d'un compagnon de voyage le mot Pékin, chargé de mystère comme aucun autre. Je l'entends encore aujourd'hui ce mot, de même que je perçois toujours le frisson qui m'a parcourue à cet instant-là. Entendre dans la nuit Pékin et me dire que c'est là-bas que je vais !... Cette destination était si ahurissante que j'aurais dû défaillir, mais si ahurissante aussi que j'en étais comme anesthésiée En fait, c'est à Moscou que l'Extrême-Orient a commencé.
Les rues étaient recouvertes d'une saleté inimaginable et on s'y enfonçait dans la boue. Les gens erraient, déguenillés et hirsutes, souvent vêtus de sacs de jute. Les mendiants étaient si sales et si misérables que le spectacle vous glaçait le sang. J'ai vu un infirme ramper à quatre pattes à travers un bourbier en fredonnant une chanson. C'était la première irruption de l'Extrême-Orient, mais ce n'était qu'un petit avant-goût de ce qu'il faut supporter en Chine, pays encore sauvage, qui cache des choses qui échappent aux règles humaines.
La deuxième irruption de l'Extrême-Orient a eu lieu le soir même dans la gare d'où part le Transsibérien. Dans les salles d'attente repoussantes et enfumées étaient attablés de nombreux Chinois ; leurs visages jaunes étaient étranges et ricaneurs, leurs gestes et leurs sons singuliers ; c'était comme un grand signe de la main que me faisait un lointain pays inconnu, chargé de mystères, de frayeurs et d'horreurs".
Cet ouvrage n'avait jamais, à ce jour, été publié en français. Nous en devons la traduction à Jean-Louis Spieser.