Anorexie, mon amour

Pavillon 47 - Service psychiatrique - La maison des fous - La poubelle. C'est là-dedans qu'on te jette quand t'es tarée... Le docteur Lucien Blanc y règne. C'est son univers à lui. Je suis entrée en anorexie comme j'imagine que l'on prend le voile. Et je suis entrée dans son monde. Il m'a dit : " Il y a un contrat entre vous et moi ". Et il m'a énuméré les clauses : vous serez enfermée seule dans une cellule ; pas de vêtements, seulement un pyjama ; pas de visites ; pas de téléphone ; pas de lettres ; pas de fleurs ; pas de télévision ; aucun contact avec le monde extérieur ; vous serez pesée deux fois par semaine ; vous mangerez ; vous serez libérée dès que vous pèserez 46 kg " Et pas ", a-t-il souligné avec un plaisir évident, " 45 kg 800 gr ". Vous pèserez 46 kg et vous maintiendrez ce poids. Après votre sortie, je continuerai à vous peser régulièrement moi-même et si jamais votre poids passe en dessous, même s'il s'agit de 200 gr, je vous enfermerai à nouveau ". En contrepartie, il a promis de venir me voir tous les jours, il allait " m'aider ". " M'aider ". Personne au monde ne pouvait m'aider. Ça, sans doute que je m'en rendais compte. Sinon, pourquoi les aurais-je laissés faire ? Parce que je les ai laissés faire. Et ils l'ont fait... " Qui détient le savoir ? Celui qui souffre ou celui qui a observé la souffrance ? Quand le combat contre la douleur devient affrontement narcissique entre thérapeute et patient, que reste-t-il a patient si ce n'est d'instituer la mort arbitre et témoin ? Ici, le contrat devient placebo destiné à rassurer une équipe soignante qui se donne l'illusion d'un pouvoir qui n'a jamais été et ne sera jamais dans son camp. Jackie Sinclair vous parle parfois avec colère, parfois tendrement, mais toujours avec sincérité. Ecoutez-la ! Même si vous êtes de ceux qui sont censés savoir ". (Extrait de la préface de Bernard Croizé, psychiatre).