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Inattendu
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Eblouissant
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XXe siècle
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Bouleversant
Samedi dernier en début de soirée, je me pose à coté de Madame, devant la télé. Elle regarde une émission dans laquelle un couple de retraités a ouvert sa porte à un journaliste et un commissaire-priseur afin de dénicher, dans tout le bric à brac qu'ils ont tous deux accumulé dans leur vie, quelques objets ou bibelots, qui revêtiraient une certaine valeur marchande dans les enchères d'une salle de vente. L'objectif ultime de l'émission, au delà de faire de la place chez soi en gagnant un peu d'argent (en sus des droits de diffusion reversé par la chaîne...) étant de dénicher
pourquoi pas, un trésor caché au fond de son grenier.
On s'est tous retrouvé un jour, se muant en apprenti archéologue, à aider grand maman à faire du vide dans sa maison avec la secrète idée de dénicher quelques breloques devenues totalement désuètes à ses yeux, mais revêtant dès le premier coup d'oeil en les mettant à jour, un intérêt certain pour le brocanteur du quartier.
Et je dois dire que j'ai fait ce genre de découverte il n'y a pas moins de quelques semaines, et ce, en ouvrant un vieux carton provenant de l'ultime déménagement de feu ma grand-mère J...., que ma mère m'autorisa à jauger avant de le déposer au dépôt d'Emmaüs. Evidemment le trésor que j'y ai trouvé est d'une autre nature que celui tant recherché par ce couple de retraités. Dans ce carton, se trouvaient les derniers livres qu'elle avait accumulés, du départ de mon grand-père A.... jusqu'à sa mort, période où elle s'était prise d'un gout prononcé pour la lecture.
D'un premier abord, rien de vraiment intéressant. Parmi pas mal de livres tombés dans l'oubli, j'y ai trouvé un récit de Pascal Sevran, La vie sans lui, ou le seul roman écrit par Simone Signoret, Adieu Volodia.
Mais tout au fond du carton, comme si quelqu'un avait voulu le dissimuler, je suis attiré par un livre dont la partie inférieure de la couverture est rouge. En majuscules noires est écrit prix Goncourt.
Voici le petit trésor oublié que j'y ai découvert et qui a constitué, pendant quelques jours, une lecture forte en émotions, puisque qu'il me permit, au delà dévorer un excellent roman qu'il est bien sûr très facile de trouver aujoud'hui en librairie, de communier une dernière fois avec ma grand-mère disparue, souriant, vociférant ou pleurant au grès des pages qu'elle avait elle même effleurées quelques années auparavant.
Les Noces barbares de Yann Queffélec c'est l'histoire d'un destin tragique. Il retrace la vie d'un enfant, prénommé Ludovic par son grand père, qui chargé de le déclarer à la mairie, choisi ce prénom en référence au code du bateau inscrit sur sa poupe "LUDOVIC BDX 43 77" et rentrant au port à ce moment là. Ludo né à la suite de noces barbares est rejeté par son milieu familial, et notamment sa mère, et cela même, avant sa naissance.
" Il doit crever, rageait la mère, il faut qu'il crève. Le bon Dieu ne laissera pas faire ça. Qu'on soit la risée du pays. Que le pain sur lequel je fais ma croix tous les jours soit du pain sale avec le péché dessus, le péché de ma fille. Un jour les voisins sauront qu'elle couve, et ma maison sera montrée du doigt."
Passant les premiers années de sa vie dans le grenier familial, sevré d'amour et nourri de restes, Ludo ne sera jamais adopté par Nicole, sa mère.
" T'as raison alors! C'est toi qu'as raison. Si tu veux pas parler, c'est que je suis pas ta mère... Ah tu veux rien dire ! Eh bien tu vas voir ! C'est un accident ta mère, t'entends ?... Chaque fois que je te vois, chaque fois, je les vois, tous les trois, je les entends, sous la lampe jaune, chaque fois que je te vois c'est les trois saloperies que je vois, c'est comme si c'était toi qui m'avais battue, violée, c'est pas moi ta mère t'entends !... Ta mère c'est les trois saloperie."
Et malgré quelques preuves d'amour reçu parcimonieusement par Nanette, partie trop tôt, ou Micho le riche mari mécanicien de Nicole, Ludo finira par être placé dans un asile pour débiles légers dirigé par Mlle Rakoff.
Ainsi, la solitude et le manque d'affection rendra Ludo sinon fou, inapte aux comportements dits normaux et le conduira inexorablement, on le pressent dès les premières pages, vers une fin tragique.
Yann Queffélec qui reçu le prix Goncourt pour ce second roman, su se changer tour à tour en dialoguiste hors pair (il inventa même un accent original qui n'existe nulle part) et saura montrer à merveille la puissance des préjugés campagnards, en narrateur de talent, et dans la dernière partie du livre, peu parlée, Ludovic ayant abandonné son continuel monologue intérieur passant à un phase plus contemplative,Yann Queffélec nous montre une troisième facette de son talent, celui de poète de la mer.
Une question vient à l'esprit des le livre refermé:
Etre un enfant mal aimé peux t-il réellement le réduire à la folie ?
Que j'aimerais encore pouvoir parler de ce livre avec toi...
AL
http://blowawaydandelion.blogspot.fr/2013/03/les-noces-barbares-de-yann-queffelec.html
CORPSE BRIDE //
Ce dont nous parle ici Yann Queffélec, c’est d’innocence ; celle mise à mal, saccagée. Celle de Nicole, jeune fille amoureuse dont les rêves de mariage sont annihilés par l’acte atroce que les militaires américains commettront sur elle. Celle de Ludovic, ensuite, qui espérera, avec toute la naïveté que lui confère son esprit simple, recevoir enfin l’amour maternel tant désiré. Celle aussi de ses compagnons d’infortune, éternels enfants mis au banc de la société. Dans ce livre sombre et magnifique, tout à la fois imprégné d’amour et de violence, la barbarie vient d’où on ne l’attend pas, la rendant d’autant plus insupportable : les militaires censés représenter l’ordre se révèlent des monstres, la mère n’est en rien le parangon d’amour maternel que l’on pourrait imaginer. Au fil de son écriture fluide et ample, Yann Queffélec nous transporte dans un récit teinté d’amertume. Point ici de vie rêvée, de fin heureuse et d’espoir. Tous les problèmes qu’exposent l’auteur sont dépourvus de solutions : le chant d’amour du fils pour sa mère restera incompris, la blessure de Nicole ne se refermera pas, et sa tentative de construire une vie nouvelle et peut être heureuse se révèlera douloureusement vaine. Ici les personnages luttent, se débattent, et tout cela pour rien. Puisque cette histoire a commencé dans la barbarie, elle devra s’achever de même. Ce que nous apprend Yann Queffélec, c’est que la violence se transmet en héritage, et que celui qui a connu l’horreur la perpétuera à son tour ; jusqu’au point final de cette histoire tragique, qui verra enfin se sceller les destins d’un fils et d’une mère qui jamais n’auront pu réellement se rencontrer. Il ne faut cependant pas s’arrêter à la noirceur de ce livre, car il ne s’agit pas là d’un noir complet, mais de ténèbres mouvantes, traversées de lumières fulgurantes, d’éclaircies brèves mais oh combien sublimes !