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"Mais la minute qui compte, c'est tout à la fin. Les gestes se sont alentis, le coiffeur vous a délivré du tablier de nylon, qu'il a secoué d'un seul coup, dompteur fouetteur infaillible. Avec une brosse douce, il vous a débarrassé des derniers poils superflus. Et l'instant redouté arrive. Le coiffeur s'est approché de la tablette, et saisit un miroir qu'il arrête dans trois positions rapides, saccadées : sur votre nuque, trois quarts arrière gauche, droite.
C'est là qu'on mesure soudain l'étendue du désastre... Oui, même si c'est à peu près ce qu'on avait demandé, même si l'on avait très envie d'être coiffé plus court, à chaque fois on avait oublié combien la coupe fraîche donne un air godiche. Et cette catastrophe est à entériner avec un tout petit oui oui, un assentiment douloureux qu'il faut hypocritement décliner dans un battement de paupières approbateur, une oscillation du chef, parfois un "c'est parfait" qui vous met au supplice.
Il faut payer pour ça".
Saisir la vie de tous les jours pour en faire du bonheur en mots
EXTRAIT :
"Cet air un peu penché"
"La joue droite s’incline à peine vers l’épaule.
C’est drôle. C’est un geste qu’on voyait faire en
couple, avant, quand l’un semblait réclamer
quelque chose sans les mots, une caresse, un
baiser, l’enveloppement par le bras de l’autre.
Un geste comme de lassitude et d’abandon,
d’imperceptible bouderie mais de tristesse aussi,
l’inclinaison légère de la nuque voulait dire tout ça.
Et maintenant, voilà qu’on fait ce geste seul,
au milieu d’une place, au hasard d’un trottoir,
en marchant plus lentement mais sans s’arrêter
de marcher, ou bien assis sur une plage, à la
terrasse d’un café, partout.
Partout cet aveu de faiblesse, ce besoin d’une voix,
d’une présence qu’on n’a pas.
C’est juste pour parler dans le portable,
bien sûr, et le message est souvent bien banal,
je suis à l’angle de la rue d’Amsterdam, dans
vingt minutes je serai à la maison, il y a des tomates
et un concombre dans le bac à légumes.
C’est peut-être simplement une contrainte technique,
quand il y a du bruit tout autour il faut tenir le portable
bien collé contre l’oreille et le cacher dans l’encolure
du manteau, ou à l’abri du vent. Oui... Peut-être...
Mais ça ressemble quand même à ce geste d’enfant
qu’on faisait pour écouter la mer au fond d’un coquillage.
Rien à voir, c’est entendu, on communique dynamique dans le présent tendu. Mais il y a cet air un peu penché, qui navigue sur les trottoirs en solitudes parallèles.
Comme si on était tous exilés de l’enfance, un peu perdus."