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« Sécurité publique », « sécurité alimentaire », « sécurité énergétique », « sécurité des frontières » :
la sécurité constitue aujourd’hui dans tous les États un enjeu politique formidable.
Mais qu’est-ce que la sécurité ? Un sentiment, un programme politique, des forces matérielles, un
écran de fumée, une espérance, une damnation, une obsession pathologique, une source de
légitimité, un bien marchand, un service public ?
Ce principe, omniprésent, est le fruit de quatre grandes acceptions historiques :
– la sécurité comme état mental, disposition du sujet ;
– la sécurité comme situation objective, ordre matériel caractérisé par une absence de dangers ;
– la sécurité comme garantie par l’État des droits fondamentaux, de la conservation des biens et des
personnes, de l’ordre public, de l’intégrité territoriale ;
– la sécurité comme contrôle des flux : cette acception du terme met à nu notre époque
contemporaine et mobilise des concepts nouveaux – « traçabilité », « précaution » –, mais aussi ceux de « contrôle », « protection », « régulation ».
Ces quatre dimensions sont autant de « foyers de sens » divers et irréductibles, qui, au cours de
l’Histoire, ont connu chacun leur âge d’or, et semble s’être succédé.
Or, montre Frédéric Gros, une
fois embrasés, ils ont continué à être actifs, jusqu’à nos jours. Leur dynamique historique s’éclaire
par quatre modalités : la reconfiguration (exemple de la tranquillité du Sage qui ne dépend plus de
techniques spirituelles mais d’un bon gouvernement et d’un État fort) ; la réactivation (les ressorts
millénaristes recyclés par les révolutions totalitaires du XXe siècle) ; la tension interne (entre
sécurité policière et sécurité juridique, entre sécurité militaire et sécurité policière qui, à son tour,
combat « l’ennemi intérieur ») ; la contradiction externe enfin (aujourd’hui la biosécurité remet en
cause les autres foyers de sens ; de son côté le modèle de la sécurité du marché impose un
démantèlement de l’État-providence, un effacement des politiques de santé publique, une disparition des logiques de solidarité, et la sécurité-régulation alors joue contre la sécurité-protection).
Au-delà de ces variations historiques – de la sérénité du sage aux appareils d’État, du millénarisme
religieux aux techniques contemporaines de contrôle –, ces quatre foyers de sens ont en commun que la sécurité, c’est, toujours, une retenue de la catastrophe. Le sage, par des exercices appropriés, tient à distance la catastrophe comme malheur, en neutralisant les représentations, en empêchant que les instabilités sociales ou les désordres du monde ne mordent sur sa tranquillité intérieure.
Le
millénarisme se construit largement comme une retenue de la catastrophe ultime, absolue, la
destruction des temps et le Jugement dernier. L’État, en maintenant un ordre public, retient les forces de destruction, la catastrophe comme guerre. La biosécurité retient tout ce qui pourrait menacer, altérer, entraver la circulation des flux, en protégeant, contrôlant, régulant. La sécurité, c’est se retenir au bord du désastre.