Au printemps 1915, le lieutenant Léon Cognard est détaché de la Gendarmerie Nationale pour prendre le commandement d’une prévôté à Albert, sur le front de la Somme. En charge de la police judiciaire militaire auprès des forces armées, et nettement moins exposées que les troupes qu’elles accompagnent, les unités prévôtales sont très mal considérées et rencontrent une franche hostilité parmi soldats et officiers. Déjà très malmenés dans l’exercice de leurs fonctions courantes, les gendarmes vont se trouver face à un mur lorsqu’il s’agira pour eux d’éclaircir les
circonstances suspectes du suicide d’un biffin.
Parfaitement documenté et rédigé avec un grand souci du détail et de l’exactitude, ce roman historique a pour intérêt majeur de nous faire découvrir le rôle méconnu de la gendarmerie en temps de guerre. Mission difficile que de faire la police sur le front, quand l’hécatombe et l’enfer des tranchées semblent rendre bien dérisoires petits et grands délits. Comment ne pas comprendre l’animosité d’hommes rendus au bout de l’horreur et dont la vie ne tient qu’à un fil, lorsque des « embusqués » prétendent leur faire la leçon et sanctionner leurs fautes ? Il faut bien du doigté et du discernement pour être à la hauteur du défi, qui devient même gageure lorsqu’il est question d’enquête criminelle dans ces circonstances.
Le récit s’organise autour d’un personnage central, Léon Cognard, un peu idéaliste et très anti-conformiste, qui met toute sa psychologie au service de son rôle d’encadrement. L’homme, qui ne manque ni d’humour ni de lucidité, se compare souvent à Don Quichotte, mais il est avant tout un parangon de réalisme et de pragmatisme dans ce contexte apocalyptique. Il est accompagné d’autres figures marquantes, toutes campées avec finesse et précision. Il n’est pas jusqu’au facétieux cheval Rossinante qui n’ait fait l’objet d’une étude approfondie et d’une restitution soignée et crédible. Et c’est presque nostalgique de leur camaraderie et de leur esprit de corps que l’on quitte les membres de cette équipe si puissamment incarnée.
D’une parfaite exactitude et de facture classique, ce roman habité par des personnages aussi humains que nature et tendu par juste ce qu’il faut d’intrigue policière pour ne pas voler la vedette à la fresque historique, est une lecture aussi plaisante qu'intéressante sur les missions méconnues de la gendarmerie prévôtale.
Bien plus qu'un polar, un roman historique et psychologique très bien écrit
Très belle découverte que ce livre qui a obtenu le premier prix du roman de la gendarmerie nationale, et c'était amplement mérité. Attention toutefois, ce roman n'est pas un polar, il est bien plus que ça. Même si l'action se déroule au cœur de la première guerre mondiale, les personnages qu'on y rencontre et auxquels on s'attache sont des humains, avec leurs qualités, leurs défauts, les rapports humains y sont décrits avec beaucoup de justesse. Léon Cognard est un manager comme on aimerait tous en avoir. Les descriptions sont immersives, on s'y croirait. La preuve, le far breton de la mère Dacheux m'a fait tellement saliver que j'ai fini par en préparer un moi même... Bellec, Cognard et les autres sont devenus mes amis le temps d'une lecture, et même bien après, parce qu'on ne les oublie pas si facilement...