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À découvrir
Billy Summers est un tueur à gages, qui n’accepte que de tuer les méchants. A quarante-quatre ans, il envisage de prendre sa retraite. Avant cela, il accepte une dernière mission, pour laquelle il lui est proposé la somme de deux millions de dollars. Il est intrigué par le montant : « la plus grosse somme qu’il ait jamais touchée, c’était soixante-dix-mille. » (p. 16) Billy se demande quel est le véritable objectif des commanditaires. « Deux millions. Pour un seul boulot. Où est l’embrouille ? » (p. 19) La cible est un tueur professionnel, comme lui. C’est un homme qu’il
faut empêcher de faire des révélations, lors de son procès ; il doit mourir avant.
La préparation de la mission est longue et minutieuse. Billy doit se mêler à la population. Pour l’aider, une couverture lui a été fabriquée : il est un primo écrivain, qui a été forcé, par son agent, à s’éloigner de son environnement, pour se consacrer uniquement à l’écriture. L’attente devant durer des semaines, voire des mois, il décide de profiter de ce temps, pour entrer, véritablement, dans la peau du personnage : il écrit son histoire.
Les portraits sont ciselés et nuancés. Billy Summers a de multiples facettes, qu’il utilise en fonction des circonstances : il est le voisin sympathique, il est un gars un peu simple, il est un tueur redresseur de torts, il est un gamin perdu, il est une personne de confiance à qui il est possible de demander d’arroser les plantes, etc. Sa vraie personnalité est révélée dans ses confidences. Ce caméléon est d’une grande intelligence et possède un sens de la justice que sa profession ne laisse pas présager. Après une rencontre inattendue et désespérée, nous découvrons ce qu’il a, réellement, dans les tripes et les valeurs qui déterminent ses actes, son code d’honneur personnel. Alors que les truands fourmillent dans ce suspense, nous établissons, inconsciemment, une hiérarchie du crime. Billy est-il un idiot ? Un calculateur ? Un tueur froid ? Un être brisé ? Un homme meurtri par son passé ? De qui faut-il se méfier ?
Quand j’étais adolescente, j’ai beaucoup lu Stephen King. Je l’avais délaissé, car mes goûts avaient changé. J’avais renoué avec Histoire de Lisey. C’est le dernier livre que j’avais lu de lui. J’ai été attirée par Billy Summers parce que c’est un polar. En effet, même si je n’aime plus les histoires qui contiennent du surnaturel, je chéris mes souvenirs livresques. Je me rappelle l’addiction que je ressentais, lorsque je dévorais les romans de l’auteur, en cachette, dans les escaliers de l’internat. Aussi, c’est un immense plaisir de renouer avec ce plaisir, dans un genre qui convient à mes goûts actuels. J’ai aimé retrouver ce besoin viscéral de tourner les pages et de classer les multiples interrogations qui tournaient dans ma tête. En effet, en parallèle du présent conté par Billy et du passé relaté dans ses écrits, mon esprit empruntait des chemins sinueux pour assembler les deux tableaux. Je déviais, souvent, plus que l’auteur, mais j’ai apprécié que celui-ci me donne la sensation d’être une partie prenante de l’intrigue. J’ai, également, été sensible à la profondeur de l’attachement que je ressentais envers le héros et certains de ses proches, malgré le contexte criminel. Enfin, j’ai adoré le suspense psychologique qui entoure de mystère la personnalité de Billy.
J’ai adoré Billy Summers.
Jamais crime commis ne s’efface
Alors qu’à quarante-quatre ans il est bien décidé à raccrocher, Billy Summers, ancien tireur d’élite des Marines qui a servi en Irak avant de devenir tueur à gages dans la vie civile, accepte un dernier contrat, celui que son expérience et son instinct lui font pourtant pressentir comme « le coup de trop ». C’est qu’il y a deux millions de dollars à la clef, et puis la cible est l’un de ces méchants, nuisibles à la société, auxquels, conformément à son code d’éthique personnel, il restreint strictement son champ d’action. Il s’installe donc docilement dans la nouvelle identité prévue pour lui : un écrivain débutant, venu chercher le calme entre un modeste pavillon de banlieue et un bureau en centre-ville surplombant le palais de justice dont les marches serviront, le moment venu, de théâtre des opérations. On s’en doute, les imprévus vont s’en mêler, et les grains de sable initiaux se transformer en gros cailloux...
Peut-on rendre sympathique un homme qui gagne sa vie en assassinant des gens ? C’est ce que réussit Stephen King avec son personnage si bien campé dans ses complexités qu’il finit par transfigurer une intrique ouverte sous les auspices les plus classiques. Usant de la tactique du roman dans le roman grâce à la couverture d’écrivain qui, assez facétieusement mais pas sans danger pour lui, mène en réalité Billy à se montrer sous son jour le plus authentique – fin lettré, lecteur de Thérèse Raquin dont la référence accompagne d’un bout à l’autre le récit pour mieux souligner le poids de la mauvaise conscience qui fait du crime un calvaire, le sniper s’astreint ordinairement à une apparence d’homme de main un peu limité, destinée à endormir la paranoïa de ses commanditaires –, King déroule le suspense de son action principale tout en laissant son héros dévoiler lui-même son histoire et ses failles au rythme de l’écriture de ses douloureuses réminiscences.
Et si l’on n’y croise aucune horreur fantastique relevant de l’univers habituel du maître de la terreur surnaturelle, c’est quand même toujours l’angoisse et l’effroi les plus intenses que, dans un ample et lent crescendo pleins de surprises mais aussi d'émotions, l’écrivain distille au rythme de ses phrases sèches et crépitantes. Simplement, elles se nourrissent de monstruosités ordinaires qui, en toute impunité, prolifèrent dans une Amérique que les mentions à Trump et au Covid-19 ancrent bien dans notre actualité : mafia, crime, viol, pédophilie…
Gentil qu’à son corps défendant de vrais méchants ont conduit à endosser un rôle dont sa conscience n’arrive pas à se convaincre qu’il n’est que faussement semblable au leur, Billy tente de conjurer ses fantômes en défendant, quand l’occasion s’en présente, ces innocents dont il ne peut plus goûter la vie paisible que le temps d’une identité d’emprunt dans un quartier modeste de l’Amérique moyenne. Mais, dans sa poche, Thérèse Raquin est là pour nous le rappeler : jamais crime commis ne s’efface… Coup de coeur.