Continuant sur sa veine autobiographique qui fait en partie le succès de ses ouvrages, Jean-Louis Fournier adresse cette rentrée une (presque) supplique à sa fille, un peu disparue. Je dis un peu disparue car elle est bien vivante, mais tombée dans un mysticisme sectaire.
Après "Où on va, papa ?" témoignage lucide et poignant sur ses deux fils handicapés cérébraux et "Veuf" l'an passé, sur le décès de son épouse, voici que nous en apprenons plus sur sa fille... devenue bigotte 200 %, ayant troqué les couleurs vives pour le loden sombre. Totalement intolérante, elle fuit le monde
réel et surtout son père.
Brisé, anéanti, (et on peut le comprendre vu les épreuves endurées par cet homme), il écrit ses espoirs, ses interrogations, ses regrets. Cette fois-ci, même si l'humour pointe toujours un bout de son nez au détour d'une phrase implacablement lucide, on sent une infinie tristesse parcourir ces pages. Au soir de sa vie, Jean-Louis Fournier aimerait bien retrouver sa fille, la vraie, la vivante, la gaie, celle qui était une talentueuse graphiste. Seulement celle-ci est enfermée, dans un système de pensée intégriste qui la rend inaccessible.
Cette souffrance supplémentaire de l'auteur émouvra bien sûr ses lecteurs réguliers. Les autres, les nouveaux, seront touchés aussi, car, au-delà de l'anecdote, il y a les pensées de l'écrivain qui sait si bien jouer avec les mots, les triturer, les retourner, les associer pour dresser un tableau touchant et vibrant comme cette vie qui fuit hélas peu à peu.
Cependant, je mettrai un petit bémol économique. 14 euros pour, aller, en gros, une demi-heure de lecture....ce n'est pas un peu cher ? Et puis, dans quelques années (le plus tard possible j'espère), tous les droits d'auteur tomberont dans l'escarcelle de cette illuminée qui n'attend que le trépas de son père, allant même lui demander par courrier quand est-ce qu'il va enfin se décider à quitter cette terre. Je tique voyez-vous, surtout qu'il semblerait que l'héritage ne servira pas à quelques bonnes oeuvres mais plutôt à remplacer l'actuel rutilent 4x4 et son intérieur cuir...
Il faut que je sois généreux si je veux gagner une place au paradis. Si vous avez aimé les deux précédents témoignages familiaux de l'auteur, ne vous privez pas de cette "Servante du Seigneur" (J'ai du me reprendre à quatre fois pour que la majuscule à" seigneur" veuille apparaître), c'est encore une belle leçon de lucidité face aux épreuves de la vie et toujours teintée de cette humanité humoristique des gens qui souffrent.
D'un père à sa fille...
La servante du Seigneur pourrait presque être qualifié de roman épistolaire puisque, par des chapitres très courts, Jean-Louis Fournier envoie une multitude de messages à sa fille.
Au fil des pages, le lecteur découvre, cachée sous l'humour et l'ironie propre à l'auteur, toute sa souffrance de ne plus reconnaître sa fille parce que, le constat est là : entre Marie et Jean-Louis, la rupture est consommée.
Alors que le lecteur n'a pas le point de vie de Marie, chaque chapitre crie l'Amour d'un père qui lui rappelle les beaux souvenirs, leurs coups de gueule et leurs coups d'Amour comme pour lui demander de revenir le serrer dans ses bras avant qu'il ne disparaisse.
Comme avec Où on va, Papa ?, cela pourrait ressembler à un règlement de compte, mais l'humour et le sarcasme cachent avant tout le chagrin et la douleur de Jean-Louis Fournier offrant un recueil poignant, souvent drôle, souvent triste, mais toujours émouvant.
"Je connais des gens heureux qui ont l'air triste et des gens malheureux qui plaisantes toujours.
S'ils plaisantent, c'est peut-être pour être moins malheureux.
L'humour est un antalgique, on l'utilise quand on a mal."