Professeur de lettres dans un lycée de la banlieue romaine, l’Italien Marco Lodoli écrit pour mettre un peu de magie et de poésie dans l’insupportable chaos du monde et de la vie. Il imagine ainsi une passion quasi mystique, un amour inaltérable et pur, à jamais préservé des flétrissures et des contingences du réel, parce qu’impossible. Comme si, pour ne pas l’abîmer, il valait mieux rêver sa vie que la vivre.
La narratrice est concierge dans un établissement scolaire qui pourrait être jumeau de celui de l’auteur. Ombre sans prénom, elle fait partie des murs depuis maintenant quatre décennies quand elle se lance dans c…
Professeur de lettres dans un lycée de la banlieue romaine, l’Italien Marco Lodoli écrit pour mettre un peu de magie et de poésie dans l’insupportable chaos du monde et de la vie. Il imagine ainsi une passion quasi mystique, un amour inaltérable et pur, à jamais préservé des flétrissures et des contingences du réel, parce qu’impossible. Comme si, pour ne pas l’abîmer, il valait mieux rêver sa vie que la vivre.
La narratrice est concierge dans un établissement scolaire qui pourrait être jumeau de celui de l’auteur. Ombre sans prénom, elle fait partie des murs depuis maintenant quatre décennies quand elle se lance dans ce récit ouvrant sur ses vingt-six ans et ce fameux jour qui devait donner le ton au reste de sa vie. Ce jour-là débarque au lycée, en retard et dégoulinant de pluie, celui qu’elle prend d’abord pour un élève indiscipliné et qui s’avère un jeune professeur de lettres, tout aussi peu adapté au moule de l’établissement. Dépourvu d'autorité, dédaignant notes et contrôles tout en s’affranchissant des programmes, ce poète-albatros s'attire aussitôt la réprobation ouverte de ses pairs et de sa hiérarchie, mais aussi, lui qui du haut de sa sphère intellectuelle ne la regardera jamais, le secret amour de la jeune femme humblement cantonnée à ses tâches subalternes.
Elle ne variera jamais, d’autant plus fidèle à son idéal que les laideurs de son quotidien n’offrent d’autre issue que la résignation. De même qu’entre vidage des poubelles et nettoyage des toilettes elle préserve farouchement les roses blanches qu’elle a pris l’initiative de faire fleurir dans le jardin du lycée, toute sa vie elle cultivera la beauté muette d’un amour rêvé, en réalité bien plus vaste que son véritable objet car cristallisant les aspirations mort-nées d’une existence socialement entravée et résignée à subir sans espoir une violence systémique, symbolisée par un viol et un avortement tous deux silencieux.
Pendant qu’elle sublime sa vie insupportable en un éden secrètement fantasmé, le défendant bec et ongle contre les assauts d’un réel que son inconscient lui fait se représenter sous la forme d’un gnome fantastique, lui que ses origines sociales encouragent dans ses ambitions entreprend de vaincre les mesquineries et les frustrations qui encombrent son métier en goûtant la gloire de l’écriture. Et si, de Marco Lodoli à son personnage Matteo Romoli, les évidentes proximités semblent teinter le récit d’une certaine auto-dérision, ce n’est là encore que pour mieux peindre les rêves, puis cette fois les désillusions, face à la cruauté d’un monde en vérité tueur de poésie.
Alors, de l’une qui s’évade de sa vie pour lui préférer le rêve ou de l’autre qui use ses rêves en tentant de les vivre, qui au final tire mieux son épingle du jeu ? En nous laissant douter, Marco Lodoli ouvre un questionnement existentiel dans un conte magnifique et bouleversant, où au temps qui passe et à la vie qui déjà s’efface sur le sentiment d’être passé à côté, répond la magie des histoires que l’on se raconte, en l’occurrence ici le clair-obscur d’un amour fou, pur et n’attendant pas de retour, aux résonances quasi mystiques. Superbe !