La Fièvre est un roman brûlant. Un roman qui exerce sur le lecteur une emprise à la fois crue et délicate, comme le style de l’auteur.
Sébastien Spitzer raconte ici la ville de Memphis, au moment le plus chaud de l’été 1878, alors qu’une terrible et mystérieuse fièvre s’abat sur la ville.
Les personnages sont dessinés au scalpel, et les dialogues sont tranchants comme des poignards.
Emmy, l’adolescente métisse, à la recherche de son père qu’elle idolâtre sans connaître.
Anne, la maîtresse-femme au passé trouble, mère maquerelle du plus beau bordel de la
ville.
Keating, le raciste, aigri et proche du KKK, qui tente d’oublier dans son travail tout ce qui manque à sa vie.
Et Brown, l’ancien esclave, fort et fier, aussi farouche défenseur de sa ville que de sa liberté si difficilement acquise.
Quatre personnages aussi différents, rien, absolument rien ne devrait pouvoir rassembler.
Pourtant une chose va y parvenir : la Fièvre.
Car elle entraîne de nombreux décès, qui eux-mêmes entraînent l’émergence de pillards qui ne reculent devant aucune exactions envers les survivants...
Alors survivre, et, plus encore, sauver leur ville devient leur but commun.
Et pour ça, eux non plus ne reculeront devant rien.
Sébastien Spitzer fait renaître sous nos yeux, et avec un talent fou, une ville et un dix-neuvième siècle ou la mort, le racisme et la violence règnent en maîtres.
Chaque page transpire des nombreux vices qui peuplent les rues de Memphis.
Chaque dialogue sue de la haine et des blessures, physiques et psychologiques, de ses habitants.
Chaque chapitre suinte de toutes ces colères qui ne demandent qu’à s’exprimer.
C’est la rencontre de l’innocence et du vice, de la bonté et du racisme, des bonheurs simples et des malheurs compliqués.
C’est un rendez-vous, entre un auteur, un livre entêtant, et des lecteurs ébahis.
Quatre personnages qui nous marquent et nous manquent, nous révulsent et nous enchantent.
Un roman de la rentrée littéraire à découvrir parce qu’il nous fait saisir toutes les nuances d’un monde qui n’existe plus.
Un roman qui nous contamine dès les premières lignes, pour notre plus grand bonheur.
Merci Monsieur Spitzer !
Haletante démonstration de l’inanité des préjugés et de la gravité des intolérances
En 1878, dans un Sud américain qui n’a pas encore digéré la victoire des Yankees et l’abolition de l’esclavage, plusieurs cas de fièvre jaune sont confirmés à Memphis. Prise de panique, la population tente massivement de fuir, prenant littéralement d’assaut le dernier train en partance. Les habitants restés dans la ville désertée, désormais coupée du monde et livrée à la violence et au pillage, tâchent, avec les moyens du bord, de faire face à l’hécatombe. Tandis qu’une milice composée d’hommes noirs prend la défense des lieux, et que la maquerelle Annie Cook transforme sa maison close en hôpital, l’ardent suprémaciste blanc Keathing, patron du journal local, est amené à réviser ses convictions racistes et moralistes.
Ecrit par coïncidence juste avant la pandémie du Coronavirus qui lui donne une résonance toute particulière, ce roman s’inspire des épidémies de fièvre jaune qui, par trois fois, ont frappé la ville de Memphis dans les années 1870, alors qu’on ignorait la responsabilité du moustique dans la propagation de cette maladie mortelle. Rythmé par des phrases courtes et crépitantes, le récit est haletant. Il entraîne sans répit le lecteur dans l’impitoyable succession d'évènements à laquelle doivent faire face les personnages.
Pour ces derniers, cette terrible crise devient l’occasion de profondes transformations, Blancs et Noirs se retrouvant pour une fois à égalité face à l’adversité. Soudain, la valeur d’hommes noirs s’affiche en pleine lumière au travers de leur courage et de leur détermination, tout comme la vaillance et les qualités humaines de femmes dites de mauvaise vie – ces autres esclaves, cette fois du commerce des corps -, quand quantité de gens bien pensants, à commencer par la rigide mère supérieure du couvent de la ville, s’illustrent par leur lâche irresponsabilité.
Preuve que, souvent, seules les crises savent enfanter le changement, cette histoire qui renverse les rôles établis est une jolie démonstration de l’inanité des préjugés et de la gravité des intolérances, souvent cachées derrière des principes de morale autorisant la bonne conscience. Coup de coeur.