Lorsque la narratrice et son petit frère étaient enfants, leur plus grand plaisir était un repas au fastfood, les rares fois où leur famille, très serrée financièrement, s’autorisait un extra. Mais voilà que, désormais étudiante, la jeune femme décroche un job d’été dans ce même restaurant…
En d’incessants ricochets entre passé et présent, sur un ton lapidaire alignant en rafales, comme autant de flashes stroboscopiques, des images sèches, sans psychologie ni sentiments, le récit met d’emblée en place un frappant jeu de miroirs où, la magie de l’enfance envolée,
la narratrice découvre l’envers du décor du fastfood, les gestes répétitifs et la cadence à tenir en cuisine dans la chaleur et l’odeur de friture, le stress des commandes au Drive et l’infernale pression en salle, prenant du même coup toute la mesure, alors que les souvenirs remontent, de l’usure subie par son père à l’usine, au fil d’une vie toute entière aliénée par son labeur d’ouvrier.
De l’usine au fastfood et du fastfood à l’usine, Claire Baglin dissèque ainsi, avec une précision froide et ironique qui n’empêche pas la tristesse de percer dans une sensation d’étouffement révolté, les conditions de travail au bas de l’échelle, l’épuisement dans l’obsession du rendement et dans la répétition de tâches déshumanisées, la mesquinerie de la compétition et des rapports de force sous l’égide de petits chefs redoutables, la violence et l’humiliation d’une pression sociale de plus en plus assise sur la précarité de contrats à temps partiel ou de rémunérations à la tâche, comme dans le cas des livreurs à vélo.
Dans son observation quasi documentaire et totalement factuelle, sans parti-pris ni commentaire, qui nous laisse entièrement libres de nos ressentis et de nos conclusions, la seule chose qui fait toute la différence avec l’expérience de son père, c’est qu’elle quittera ce laminoir à la fin de l’été, pour reprendre ses études et s’échapper, on l’espère, vers d’autres horizons…
Un premier roman dont la froideur clinique redouble l’efficacité, pour un tableau choc de notre société au travers d’un monde du travail absolument terrifiant.
Travail, famille...
Le travail comme expérience et sa retranscription narrative. Geste, posture, vocabulaire, temps, mouvement. En salle, à l’huile, au drive. La plasticité du lieu si familière mais en faire l’expérience du dedans, le fastfood, l’établi. Le travail comme héritage familiale, formation intime. Faire un va et vient de l’un à l’autre, établir quelques raccords, quelques rapports. Le travail comme le souvenir d’une économie familiale, sociologie à bas bruit. Où se niche, l’application, la performance, l’apprentissage, l’obéissance ? Une histoire héritée, une expérience à vivre. On se déplace d’une temporalité à une autre, d’un monde à un autre. Comment un corps se plie, intègre et reproduit ? L’expérience du travail, s’en échapper parfois et ses médailles... Une histoire passée, présente, une histoire familiale.