Lorsque leur prieur les envoie à Toulouse y chercher la meilleure qualité d’encre et de vélin pour son testament, les frères dominicains Robert et Antonin sont loin de se douter que cette mission va les mener tout droit dans les griffes de l’Inquisition. Tandis que, retenu en otage, le premier est jeté au plus secret des terribles geôles du tribunal pontifical, le second se voit contraint, pour espérer le libérer, de transmettre au grand Inquisiteur les confessions à venir de leur maître. Quels secrets sont-elles donc supposées dévoiler pour, en pleine Inquisition, faire trembler
l’Église et son ambitieuse et intrigante hiérarchie ?
Désormais doublement tenus en haleine, par le sort de Robert livré aux affres de la torture et par les mystérieuses révélations qui vont occuper plus de quatre cents pages aussi denses en surprises qu’un polar, nous voilà, par une habile mise en abyme nous plaçant dans la même perspective qu’Antonin, récipiendaire des mémoires de son aîné Guillaume, les témoins emplis de curiosité du monde intellectuel du XIVe siècle. Le récit à l’intérieur du récit nous place cette fois dans les pas de Maître Eckhart, personnage bien réel disparu quarante ans plus tôt, en 1328, et dont Guillaume fut le jeune disciple et assistant.
A son époque, Maître Eckhart était un théologien de grande renommée qui enseignait dans les universités, les monastères et les confréries religieuses de toute l’Europe. La narration de Guillaume est l’occasion de découvrir sa pensée, de considérable influence, dans le contexte d’effervescence intellectuelle qui, en ce tournant du XIVe siècle, accompagnait la renaissance des villes et l’essor des échanges à travers l’Europe. Monastères, ordres, mais aussi confréries à vocation religieuse - béguinages ou autres - se développaient, en même temps que les écoles et les universités où clercs et laïcs se disputaient l’accès au savoir et à l’enseignement. Les rivalités étaient telles que l’on en venait souvent aux mains entre factions étudiantes, ces frictions reflétant à leur échelle les luttes politiques pour le pouvoir entre les diverses autorités.
Dans une telle foire d’empoigne, un moyen radical de se débarrasser d’un importun consistait à le dénoncer à l’Inquisition, pour peu que, comme Eckhart, certains de ses propos sortis de leur contexte pussent fleurer l’hérésie. Si sa mort avant la fin de la procédure d’Inquisition coupa court à toute sanction, son œuvre ayant été condamnée post mortem à l’oubli, toutes les mesures furent prises pour qu’elle disparût avec lui. Un retour à l’obscurité qui en devançait un autre, d’une ampleur cataclysmique, puisque vingt ans plus tard, en 1348, la peste ravageait et terrorisait l’Europe, tuant les idées dans un regain de ferveur religieuse. Cet épisode noir de l’Histoire offre à l’écrivain l’un des passages les plus impressionnants de son livre, à l’occasion du siège de Caffa que les armées mongoles abandonnèrent, décimées par la peste, mais non sans contaminer la ville en y catapultant leurs cadavres pestiférés...
Mêlant l’Histoire et la fiction avec autant de réalisme que d’originalité, Antoine Sénanque signe un roman passionnant, polar médiéval mâtiné d’aventures, habile emboîtement de symboliques et éclairante vulgarisation de la pensée philosophique et religieuse de l’époque. Quelle ironie que ce personnage qui, après avoir tant travaillé à son union à Dieu selon le principe de divinisation de l’homme, se fait plus vengeur que le plus biblique des Dieux, allant jusqu’à préférer la compagnie des rats à celle de ses semblables ! Coup de coeur.
Hypothèse intéressante !
Une épopée historique avec un personnage réel, Maître Eckhart, qui nous ramène jusqu’au siège de Kaffa qui fut le point de départ de la Grande peste de 1348 qui ravagea l’Europe !
Envoyés par Guillaume, Prieur de leur monastère, survivant de Kaffa et de la peste, deux jeunes dominicains partent pour Toulouse afin de rapporter du vélin et de l’encre spéciale pour qu’il puisse écrire ses souvenirs, comme une confession, des périodes où il côtoyât Maître Eckart.
A Toulouse, l’Inquisiteur emprisonne l’un des jeunes gens pour que son ami lui transmette une copie de l’histoire de Guillaume !
L’auteur nous emporte dans des tourbillons de douleurs, de trahison et de haine mais aussi dans des instants de sacrifice de soi ultime pour Dieu ! Honnêtement ces moments m’ont semblés très longs, étant profondément rétive à cette rhétorique religieuse. Bien heureusement l’auteur a su s’arrêter avant mon désintérêt total, même si j’étais décidé à continuer la lecture car l’appréciais la plupart des personnages !
Mêlant réalité historique et fiction nous découvrons la vie du Prieur Guillaume aux côtés d’Eckhart et les derniers instants de celui-ci à Kaffa ! Ce roman a un côté policier qui n’est pas déplaisant et qui permet à l’attention de perdurer dans les moments plus ésotériques.
Antoine Sénanque dresse le portrait religieux de l’Europe au 14ème siècle avec ses dérives de tous genres, la création de béguinages où des femmes se regroupaient sans prononcer leurs vœux mais frôlaient bien souvent l’hérétisme. La Papauté était toujours à Avignon, les Dominicains s’affrontaient aux Franciscains et le trafic d’influence avait déjà atteint un joli sommet ! Bref, c’était bien repoussant, le seul but étant le Pouvoir !
Mon manque de spiritualité ne m’a pas empêché de profiter de cette histoire romanesque et intéressante, bien écrite et agréable à lire !
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