2038, Canada, sur une île, au nord-ouest de Vancouver, en Colombie-Britannique. En dépit de ses diplômes de dendrologie, Jacinda (Jake) est garde forestière à Greenwood Island, seul endroit du monde préservé du Dépérissement. Alors qu’elle est étranglée par les prêts contractés pour ses études, les riches, eux, paient une fortune pour venir se ressourcer dans ce lieu appelé la Cathédrale arboricole de Greenwood. Ils fuient les villes asphyxiées de poussière et Jake leur présente les arbres qui ont survécu aux catastrophes climatiques. Certains clients l’engagent pour une
visite privée, comme l’a fait Silas, son ancien petit ami, quand il a voulu lui faire des révélations : il pense qu’elle est l’héritière de ce domaine. Il lui confie alors un journal intime, ayant appartenu à la grand-mère de la jeune fille.
Michael Christie remonte les époques. 2038, 2008, 1974, 1934. Puis à partir du noyau 1908, il déroule le temps de manière chronologique : 1908, 1934, 1974, 2008, 2038. Jake, Liam, Willow, Harris et Everett, etc. relatent leur histoire. L’auteur déploie la forêt généalogique qu’ils constituent. Au départ, il nous les présente arbre par arbre, avant de relier leurs racines et de décrire leur enchevêtrement. Tous ont un rapport fort avec les arbres : certains s’enrichissent grâce à leur exploitation, alors que d’autres veulent les sauver et que les derniers cherchent un compromis. Les arbres sont les poumons de la terre et des personnages. Parfois, ils apportent l’oxygène, parfois, ils s’encrassent, ils tuent, ils meurent et ils sauvent. Ils sont, aussi, ceux qui conservent les secrets. De simple témoin, ils deviennent les gardiens de ce qui est confié au papier, fabriqué à partir de leur bois, mais les tornades font s’envoler les feuilles, sans les faire disparaître : elles se dispersent et réapparaissent. Les personnages sont implantés dans la terre, à défaut de l’être dans une famille. Quelques-uns ne connaissent pas leur origine, plusieurs ont grandi dans le mensonge, quand d’autres ont rejeté leurs racines et leur passé. La vérité se dévoile à nous, par touches ; l’époque précédente complète notre vision. Certains actes répréhensibles s’éclairent d’une humanité qui transforme notre perception.
En effet, ce roman est surtout une histoire humaine. Chaque génération imagine être la dernière, en raison de la souffrance du monde. Chacun cherche sa place, avec ses handicaps, ses forces, ses richesses, ses talents et son cœur. La générosité s’exprime dans les actes cachés, l’altruisme se dissimule dans les larcins, l’amour est enfoui dans la froideur, parfois même dans l’absence. Des places s’échangent, des sauvetages sont tus, des mensonges sont proférés pour sauver, des libertés sont sacrifiées sur l’autel de la vie, des attachements sont masqués et l’humanisme éclot là où on ne voyait que des mensonges et des rejets.
Lorsque le dernier arbre est une saga familiale, avec des personnages dont la dualité s’exprime dans la manière de mener leur vie et dans les traces qu’ils ont effacées volontairement. J’ai eu un immense attachement pour l’un d’eux : Everett. L’auteur lui consacre une grande part du récit. Cet homme très secret vous surprendra. Il est le pilier de l’intrigue, ses actions et ses silences ont une grande influence sur le destin de plusieurs générations.
J’ai eu un immense coup de cœur pour ce roman à la construction originale et merveilleuse, dans lequel l’humanisme et l’universalité comblent la noirceur que les passages de 2038 évoquent pour notre planète.
Fresque familiale et sociale aux résonances écologiques
Nous sommes en 2038. La planète étouffe sous la poussière depuis que les arbres ont quasiment tous disparu, décimés par des épidémies fongiques. Restent encore quelques rares zones épargnées, comme l’île de Greenwood, au large de Vancouver. Jacinda y gagne modestement sa vie en tant que guide touristique. Mais voilà qu’elle apprend qu’elle serait l’ultime descendante de Harris Greenwood, un homme qui, au prix d’une déforestation radicale, fit fortune dans l’industrie du bois. C’est un siècle d’une histoire familiale chaotique qui se dévoile peu à peu…
Inquiétante vision que celle d’un monde sans arbres ! Le cauchemar envisagé dans ce livre ne paraît pourtant pas complètement fantaisiste et c’est avec un certain trouble qu’on y assiste à l’agonie de géants millénaires, non pas des célèbres séquoias de Californie que tout le monde sait menacés de disparition par les incendies, mais des tout aussi impressionnants pins d’Oregon, dont les plus vieux et les plus volumineux poussent pour de bon sur l’île de Vancouver, et sur l’avenir desquels une invasion d’insectes parasites laisse en effet planer quelques incertitudes. Comment en est-on arrivé à une telle situation ? Là encore, rien d’invraisemblable dans ce roman, mais une histoire passionnante, courant sur quatre générations que, par bonds dans le temps – 2008, 1974, 1934, 1908 –, l’on va découvrir comme les cernes de croissance d’un arbre généalogique.
Commencée au début du XXe siècle par un spectaculaire accident qui réunit deux jeunes garçons comme des frères, la destinée des Greenwood est dès le début à ce point liée aux arbres qu’ils lui doivent jusqu’à leur nom. Et, par-delà les innombrables aléas qui vont modeler cette famille au cours des décennies, les arbres, sur pied ou exploités sous toutes les formes possibles, ne cesseront d’alimenter les passions de génération en génération de Greenwood. Mais quelle est tortueuse, originale et captivante, cette épopée aux rebondissements incessants qui finit par s’ancrer dans l’Ouest canadien, au fil de proximités, de solidarités et d’alliances qui tiendront lieu de liens du sang. Explorant le temps à la manière de la dendrochronologie, le récit éclaire peu à peu le lecteur sur un passé déterminant dont les héritiers ont perdu la mémoire et rejouent sans le savoir des drames et des situations indissolublement liés. C’est ensuite avec une tristesse douce-amère que l’on regagne l’époque de Jacinda, qui, comme tout un chacun dans la vie réelle, ne dispose que de bribes, pour la plupart erronées, pour comprendre l’histoire de ses prédécesseurs.
Un souffle aussi puissant qu’original traverse cette fresque familiale et sociale aux résonances écologiques, qui, sans manichéisme et en gardant l’espoir, nous rappelle le péril que l’activité humaine et les appétits industriels font peser sur nos forêts. Alors, comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, souvenons-nous que « Le meilleur moment pour planter un arbre, c’était il y a vingt ans. À défaut de quoi c’est maintenant. » Coup de coeur.