Au creux des Appalaches, dans le comté de Madison résonnent encore les atrocités des belligérants de la guerre de Sécession. Qui se souviendrait ou évoquerait les massacres de civils perpétrés par les deux camps, si n'existaient pas les pages fanées du journal de bord du médecin de l'époque, bon samaritain des soldats et des familles.
Un fait de guerre, atroce et oublié, liant irrémédiablement les descendants encore présents sur ces campagnes.
Dans ces contrées reculées du middle West, cent ans plus tard, les hommes sont rudes, frustres, trafiquants en tous genres. La pauvreté
est monnaie courante dans les fermes décaties ou les mobile homes rouillés.
On y croise des cultivateurs de cannabis aux méthodes musclées pour sauvegarder leur petit trafic, des profs dealeurs, interdits d'enseignement et d'autorité parentale, des femmes vieilles à quarante ans, cabossées par la vie, le sexe et la drogue, des jeunes guys paumés, soit sans désir, soit farouchement conquérants pour conjurer le mauvais sort.
Pour le jeune Travis, en rupture familiale, gérer son futur c'est faire des choix, avec l'intelligence que le sort lui a donnée. C'est aussi faire un devoir de mémoire envers le passé, pour mieux se construire.
Un roman d'apprentissage, âpre et sombre, un roman noir aux êtres frustres, attachés à la terre, à la pêche, et liés instinctivement à leurs racines, un roman où le pire côtoie le meilleur de l'homme comme un gage d'espoir et de rédemption.
Si la vie lamine les individus, ils en restent néanmoins les maitres.
Rude !
Travis Shelton traîne ses dix-sept ans entre la ferme de son père, avec lequel il est sans cesse en conflit, les virées pour boire des bières avec ses copains, et les coins de pêche qu’il affectionne au pied des Appalaches. Lors d’une de ses sorties, il découvre un champ de cannabis et en prend quelques pieds pour revendre à Leonard, un ex-prof, petit dealer local. Malheureusement, l’envie d’un gain facile le fait retourner une fois de trop dans ce champ caché, et il y est surpris par le propriétaire.
Le moins qu’on puisse dire c’est que les personnages ne sont pas des tendres, et que Ron Rash réussit superbement à rendre une atmosphère pesante et menaçante autant qu’à faire surgir de magnifiques paysages. Quant à l’amitié qui finit par poindre entre Travis et Leonard, et aux épreuves qu’ils vont traverser, à l’histoire remontant à la guerre de Sécession qui les unit, et qui est présentée sous la forme des carnets de note d’un médecin, il n’est pas utile de trop en dire…
Dans la lignée de Serena et Un pied au paradis, j’ai encore été happée par l’Amérique rurale sauvage qu’affectionne l’auteur, et par l’alchimie très réussie entre roman d’initiation et roman noir. J’ai juste été un peu perdue une fois ou deux par les références historiques à la guerre de Sécession, à cause de ma méconnaissance de cette période.