« Signature de l’acte de vente. Accident. Déménagement. Obsèques. » C’est ainsi que Brigitte Giraud résume le saccage de sa vie, lorsqu’en 1999, un accident de moto lui arrache Claude, son compagnon. Le couple aux alentours de la quarantaine vient alors d’acquérir la maison dont il rêvait, pour abriter un équilibre patiemment bâti autour de son jeune fils, de la musique pour lui et de l’écriture pour elle. L’auteur y emménage finalement seule avec l’enfant. Vingt ans plus tard, alors que, décidant de vendre la maison à un promoteur résolu à lui substituer un immeuble,
elle s’apprête ainsi à tourner une page décisive, elle éprouve le besoin de se retourner une ultime fois sur le fatal enchaînement de circonstances – curieux rouages que ceux du destin ! - qui l’a menée jusqu’ici.
« Quand un drame surgit » écrit-elle, « on veut comprendre comment on devient un chiffre dans des statistiques, une virgule dans le grand tout. Alors qu’on se croyait unique et immortel. » Mais, avec pour seule réponse la malencontreuse concordance de faits individuellement anodins, elle ne peut se retenir d’envisager encore, une à une, les minuscules pichenettes qui auraient suffi au destin pour qu’il ne déraille pas.
« Si je n’avais pas voulu vendre l’appartement », « si nous n’avions pas eu les clefs de la maison à l’avance », « si mon frère n’y avait pas garé sa moto pendant ses vacances » … : en vingt-trois hypothèses à l’origine d’autant de courts chapitres, elle déroule l’obsédante et presque ironique litanie d’un questionnement qui souligne tristement notre vulnérabilité et notre impuissance face à l’arbitraire de la vie et de la mort, quand l’une ou l’autre nous sont distribuées au gré de circonstances et de hasards parfois dérisoires.
Vingt ans après le drame, les vagues de rage et de révolte ont cédé la place aux eaux plus calmes de la nostalgie, et c’est la persistante lumière du bonheur enfui qui rayonne doucement dans ces pages frappées du sceau du chagrin. Alors, au fil de cet émouvant récit si pudiquement mélancolique, l’on se prend à suspendre son souffle aux côtés de l’auteur, le temps pour elle de s’imaginer quelques instants retenir le destin, et d’y trouver ainsi la force de continuer à affronter son implacable irrévocabilité.
Le fil de nos vies
Comme en écho au roman 4,3,2,1 de Paul Auster, qui donnait à son personnage quatre vies différentes à vivre, selon qu'un certain événement de son enfance avait lieu ou non, Brigitte Giraud s'interroge sur ce qu'aurait été sa vie si un accident de moto n'avait pris celle de son mari il y a vingt ans.
Mais plutôt qu'imaginer, comme l'écrivain américain, les différents futurs qu'elle aurait pu vivre, elle préfère se concentrer sur les quelques jours précédant l'événement et décortiquer, une par une, toutes les circonstances qui auraient pu changer le cours des choses. Et si...
Il en résulte un magnifique livre empli de pudeur, qui nous touche en plein coeur et nous rappelle que nos vies ne tiennent qu'à un fil, ou plutôt de nombreux fils, plus ou moins fragiles, plus ou moins entrelacés... Tirer sur l'un d'eux entraîne souvent les autres...
C'est également un beau portrait de la ville de Lyon et un bel hommage aux années 90 et à la scène rock, qui fait partie intégrante du récit.