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Une si longue lettre est une oeuvre majeure, pour cequ'elle dit de la condition des femmes. Au coeur de ce roman, la lettre quel'une d'elle, Ramatoulaye, adresse à sa meilleure amie, pendant la réclusion traditionnellequi suit son veuvage. Elle y évoque leurs souvenirs heureux d'étudiantesimpatientes de changer le monde, et cet espoir suscité par les Indépendances. Mais elle rappelle aussi les mariages forcés, l'absence de droits des femmes.
Et tandis que sa belle-famille vient prestement reprendre les affaires dudéfunt, Ramatoulaye évoque alors avec douleur le jour où son mari prit une secondeépouse, plus jeune, ruinant vingt-cinq années de vie commune et d'amour. La Sénégalaise Mariama Bâ est la première romancièreafricaine à décrire avec une telle lumière la place faite aux femmes dans sasociété.
Oeuvre emblème du féminisme sénégalais
Confinée pendant la traditionnelle quarantaine imposée par son veuvage, Ramatoulaye adresse une longue lettre à son amie Aïssatou. Elle y fait le bilan de son existence, se remémorant les rêves de sa jeunesse, le bonheur de ses années conjugales, puis la douleur de la solitude quand son mari la délaissa pour prendre une seconde épouse.
Si les confidences que, sur un ton juste et posé, cette femme aligne avec sincérité dans une prise de recul sur sa vie passée, sont devenues un immense classique de la littérature africaine et ont classé Mariama Bâ parmi les écrivains les plus célèbres de son pays, c’est parce qu’elles constituent un manifeste, pionnier lors de sa parution à la fin des années soixante-dix, pour la condition féminine au Sénégal. Au travers de deux amies confrontées malgré leur éducation, leur aisance et leur accès à une activité professionnelle, aux limitations imposées aux femmes dans leur rapport aux hommes, c’est toute la société sénégalaise, avec son système de castes et surtout la pratique de la polygamie, que questionne Mariama Bâ.
Comme son amie avant elle, Ramatoulaye découvre après tout le monde les tortueuses intrigues familiales et le remariage de son mari au bout de vingt-cinq ans de vie commune. Contrairement à Aïssatou qui opte pour le divorce et s’exile, elle prend le parti de plier devant le fait accompli, mais en s’effaçant dans une solitude consacrée à son métier d’enseignante et à ses douze enfants : un choix qui, au-delà d’être humiliant, l'isole péniblement. Comble de ce qui n’est pourtant pas de l’ironie, au décès du mari, des années plus tard, il faudra encore que Ramatoulaye bouscule les traditions pour envisager de recouvrer un droit sur sa propre vie. Car, une fois passé l’obligatoire confinement du veuvage, c’est son beau-frère qui est désormais en droit d’en faire une seconde épouse.
Roman militant, Une si longue lettre s’inscrit avec force dans cet élan, qui, dans les années soixante et soixante-dix, fit s’élever la première génération de Sénégalaises instruites contre la polygamie. Aujourd’hui, plus d’un tiers des ménages sénégalais se déclarent encore polygames : un chiffre en lente érosion, qui masque toutefois une recrudescence… dans les milieux aisés et intellectuels justement ! Les filles instruites suscitant une certaine méfiance, elles restent plus longtemps célibataires et finissent par accepter d’épouser un homme déjà marié pour entrer dans la norme sociale du mariage et de la famille.
Cette œuvre majeure dans l’histoire du féminisme sénégalais, dont Mariama Bâ est devenue un emblème, se découvre donc avec d’autant plus d’intérêt, que, plus de quarante ans après sa première édition, elle est toujours d’actualité.