Câbler, raccorder, resserrer, démonter, remonter, tout ceci est terminé du jour au lendemain pour le nouveau qui arrive dans un service après-vente téléphonique où il a été reclassé. Il se demande combien de temps cela prendra pour que ses mains, devenues inutiles, deviennent blanches et molles. En attendant, il doit dorénavant donner de la voix, lire sans faillir des scripts affichés à l'écran pour des clients qui attendent davantage que des voix anonymes. Pas vraiment anonyme puisque le nouveau est sommé de se choisir un prénom, il sera donc Eric, une consonance scandinave qui
lui plaît. Les collègues le prennent en charge dans ses débuts, mais quelle difficulté à s'habituer à parler toute la journée : « Le nouveau s'habitue, en effet, mais au point de ressentir rapidement cette langueur, vacuité, grisaille. » Décrocher le soir, même lors de longs kilomètres de retour en voiture, n'est guère possible, et les voix des clients poursuivent Eric jusque dans ses nuits. Comme dérivatif, il se remet à la course, aligne les kilomètres, été comme hiver. Il ouvre aussi un petit carnet de notes sur son lieu de travail. L'écriture, pourquoi pas ?
Le thème du monde du travail, avec en arrière-plan, des suicides successifs au sein de l'entreprise, ce thème non dépourvu de ressorts dramatiques, est servi par une très belle écriture, fluide et rythmée à la fois, qui m'a séduite !
les mots du travail
Ce roman ne serait qu'un document si son sujet n'était qu'inspiré de ce qui se passe à France Télécom depuis plusieurs années maintenant. Le parti pris de l'auteur est plus de s'intéresser aux mots du travail(ou les maux du travail comme on veut), les mots qu'on a pour en parler, ceux des collègues, des managers, de la direction...Mise en scène de mots donc, parfois presque une langue étrangère autour d'une histoire simple d'un homme à son poste qui après une restructuration passe d'un travail plus manuel à celui d'opérateur téléphonique, plus abstrait. Récit d'une métamorphose d'un corps au travail donc avec les mots du travail, les maux de tous et pas seulement de France Télécom... (mots qui pourraient être aussi ceux des clients tout aussi dépossédés de leurs moyens...)
A lire absolument.