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Loin d'adopter la perspective habituelle des sociologies de la désignation qui désubstantialisent la pauvreté afin de mieux la comprendre, il s'agit ici de partir de situations concrètes où se trouve menacée la cohérence du "monde de vie" des pauvres. Ceux qui doivent assumer leur vie quotidienne en l'absence de pare-chocs sociaux tels que l'argent, les relations ou le statut social sont directement exposés à des aléas fragilisant ou détruisant les "renvois" qui lient ordinairement personnes et choses en des totalités relativement cohérentes et solides.
Par-delà les accusations d'imprévoyance et d'inconstance, les situations de "démondisation" qu'ils doivent affronter paraissent relever d'un "principe de raison insuffisante" où les événements, loin de s'enchaîner, sont caractérisés par de fortes discontinuités. Alors que les enquêtes sur la grande bourgeoisie nous montrent comment les riches assurent stratégiquement la permanence de leur "bonne fortune", les pauvres sont condamnés à rester tactiquement présents au présent afin de pouvoir saisir les occasions et de vaincre l'instantanéité du temps.
Lié à cette instantanéité plus qu'à la continuité d'une monotonie, l'ennui est une expérience fondamentale du dénuement. Il traduit la pulvérisation de la durée en instants déliés et résulte de l'enfermement dans un maintenant sans horizon temporel. Ici, Godot n'est même plus attendu ! Cette "démoralisation" nous invite à repenser sociologiquement la notion d'acédie en l'opposant à cette infinité du désir que Durkheim souhaitait désigner avec la notion d'anomie.
Le dénuement est ainsi l'occasion d'une réflexion nous enseignant, comme en négatif, tout ce que nous devons aux protections sociales qui facilitent la continuité de notre "bonne fortune" et la stabilité de notre personne.