Les Bordes, c’est un lieu. Le point de départ. L’endroit de naissance. Le terreau des souvenirs.
Perdu. Dangereux. Craint.
Mais c’est aussi une famille. Une belle-famille.
Dure. Tranchante. Haineuse.
Les Bordes et Les Bordes se confondent, se mélangent quasiment jusqu’à la fusion.
Pour Brune du moins, Les Bordes, c’est tout à la fois le début et la fin.
Mais chaque année, la famille s’y retrouve, le temps d’un week-end. Quarante-huit heures en mode survie. Aux aguets. Prête à se battre, prête à tomber.
Pour ses enfants, elle prend sur elle. Va tenter d’y survivre
encore un week-end.
Et, surtout, tenter de les protéger, eux, ses enfants, sa vie, sa chair, son sang.
Parce qu’aux Bordes, tout est danger. Tout est coupure, blessure, douleur.
Et parce que les Bordes sont comme leurs terres : coupants, blessants.
Arides.
Mais pour ses enfants, oui, elle y arrivera. Elle les aime tant.
Sauf quand elle les hait.
Elle les protégera de tout et de tous.
Mais qui les protégera d’elle ?
Elle va les couver, les bercer, les aimer, encore plus, toujours plus.
Et parfois moins, tellement moins...
Mais au terme de ce week-end, que restera-t-il ?
QUI restera-t-il ?
Les Bordes est un roman à part.
Une lame aiguisée, chauffée à blanc, qui nous transperce.
C’est le roman d’une mère, avec ses qualités et ses défauts. Coupable d’être seulement humaine, dans un endroit qui l’est si peu.
C’est le roman d’une femme. Avec ses envies et ses peurs.
Avec ses rêves, phagocytés par un mal extrême : le souvenir.
Les Bordes, lieu où réside cette mémoire éternelle.
Les Bordes, famille du rappel constant.
Quel sera le prix à payer pour tenter de l’occulter ?
La plume est belle, l’histoire sublime.
Toute en subtilité et en ambiance.
Et en nuances.
Aurélie Jeannin nous captive, nous fait trembler, nous fait réfléchir.
Combien y a t-il de façons d’être mère ? D’être femme, fille ?
Peut-on protéger ceux qu’on aime, des autres, de tout, de soi ?
La lecture est éprouvante et c’est ce qui la rend si belle. Parfaitement dérangeante, idéalement plaisante, profondément humaine.
C’est un roman à découvrir pour mille raisons.
N’hésitez pas, ils ne sont pas si nombreux à être aussi puissants.
La famille : sphère de tous les amours et de toutes les haines
Comme tous les ans en juin, les Bordes se réunissent à la ferme familiale du même nom, pour un pique-nique en bord de lac. Avec son mari et ses deux jeunes enfants, Brune, la narratrice, y retrouve son beau-frère et les siens, mais surtout ses beaux-parents qui la détestent. Le week-end est donc pour elle une épreuve, qu’elle redoute d’autant plus que, mère anxieuse et sur-protectrice, elle envisage la ferme et ce coin de campagne comme des lieux de tous les dangers, souvenirs obligent...
Si le monologue de Brune est l’occasion d’abattre, avec une bonne dose de vérité dérangeante, tous les clichés de la maternité heureuse, l’on ne tarde guère à trouver cette mère au bord de la rupture un rien exaspérante dans l’excès de ses alarmes, son obsession de la perfection et ses crises émotionnelles qui sapent d’ailleurs définitivement son autorité. C’est que, chez Brune, la maternité est le révélateur de failles profondes, l’explosif qui fait sauter les couches de protection dont elle était parvenue à s’envelopper dans un semblant d’équilibre. La charge d’âmes renvoie brutalement à la figure de la jeune femme son manque de confiance en elle et ses angoisses, laissant à nu une vulnérabilité dont le lecteur s’irrite avant d’en comprendre la raison, enracinée aux Bordes depuis le temps de l’enfance.
Décortiqués en profondeur dans leur psychologie, les personnages nous sont livrés dans leur vérité brute, révélant sans fard la violence sous-jacente qui peut empoisonner les relations familiales, au gré de drames et de blessures jamais cicatrisées, surinfectées par les non-dits où couvent chagrin, amertume et colère. Imparable parce qu’enfermée dans le huis clos de l’intimité, la méchanceté y atteint d’autant plus facilement des paroxysmes, que chacun se pense victime, cherche un coupable à sa souffrance, et qu’un enfant facilement culpabilisable fait un parfait bouc-émissaire. D’abord agacé par ce qui paraît à première vue de pusillanimité chez Brune, le lecteur sombre peu à peu avec elle dans l’ambiance délétère des Bordes, bientôt convaincu que le pire reste à venir. Et c’est désormais la même prescience du danger qu’il partage avec la jeune mère.
Aucun de ses personnages n’échappe à l’impitoyable scrutation d’Aurélie Jeannin. Tous éclairés sans concession dans leurs peurs, leurs frustrations et leurs manipulations affectives, ils dessinent un tableau accablant de noirceur, indéniablement convaincant, de la nature humaine dans ce qu’elle a de plus intime : la sphère familiale, lieu de tous les amours et de toutes les haines.