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« Il est né en février 1936 dans le Mellah de Fès. Il vit aujourd'hui près de Barcelone, quand il n'est pas dans sa maison de Muret, près de Toulouse. La maladie lui interdit de prendre un avion, le prive de ses jambes, mais pas de ses souvenirs. Le marcheur de Fès, ce devait être lui. Je serais passé le prendre en auto. Une vertèbre proche de la moelle épinière, vermoulue comme une vieille charpente, en a décidé autrement.
A quoi bon risquer la paralysie ? Il m'assure qu'il a toute son enfance « sculptée » dans sa tête. Le marcheur de Fès, c'est moi. Il me guide à distance. C'est étrange d'aller seul dans la ville où il a appris à marcher, au moment où il ne le peut plus. Je marche pour lui, par procuration. Je traverse le vieux Mellah ou Moshe-Moïse le fassi est devenu Maurice le français. Comme tous les siens. Je suis l'itinéraire de cette envie de France.
Moins de deux kilomètres séparent le Mellah de la ville nouvelle. Deux petits kilomètres pour une vie rêvée puis réinventée entre deux mondes qui s'éloignent l'un de l'autre. Je sens la présence de son père Mardochée, de son grand-père Yahia le berbère, qui épousa jadis la nièce du grand Rabbin. Plus un seul juif dans le Mellah, seulement des cicatrices à l'embrasure des portes, là où étaient jadis fixées les mezouzah en signe de prière et de paix.
Je traverse les souks, j'approche de la Karaouine, je monte aux Mérinides. Je découvre le cloaque de l'oued à l'eau glacée où enfant il se rêva champion du Maroc de natation. Voici la rue où son père vendait du charbon. Il attendait que trois étoiles s'allument dans le ciel pour s'autoriser une cigarette. Ici le balcon de leur premier appartement dans la ville européenne. Et là le cinéma l'Empire où Maurice resquillait aux entractes.
Je m'arrête devant l'Urbaine, immeuble avec ascenseur et terrasse. De ce sommet un jour Maurice jeta son talet, son écharpe de prière, pour dire non à la religion. Rébellion d'un adolescent révolté devant la mort de sa grande sour Ninette à 17 ans. Où est passé le vélo blanc de la jeune fille, que nul n'avait le droit d'emprunter ? J'interroge le silence de nos vies. Fès me parle de lui. Et aussi André, son vieil ami d'enfance revenu vivre dans leur ville natale à soixante-dix ans passés.
Et encore les rues désormais musulmanes du Mellah, l'ancienne place Lyautey, l'avenue Hassan II qui fut leur Sunset boulevard sous le nom d'avenue de France. C'est l'histoire d'un juif du Maroc qui dans l'exil n'a cessé ni d'être juif, ni d'être marocain ».
Retour aux racines
Eric Fottorino, dans un récit joliment écrit et émouvant, nous livre ici un moment de partage avec son père sur ses origines.
Effectivement, ses liens avec son père biologique ne se sont resserrés qu'à l'âge adulte. Tous deux projetaient de faire un voyage à Fes au maroc où son père vécu enfant. Malheureusement, son père malade, l'auteur décida de le faire seul.
Ce roman autobiographique nous immerge dans les rues actuelles et anciennes de cette ville remplie d'Histoire et de récits de vie : nous rencontrons des personnages divers et variés tous plus émouvants les uns que les autres et sommes partie prenante d'une rencontre entre un fils et la jeunesse de son père.
Le tout à travers le style d'écriture remarquable d'Eric Fottorino !