Arctique solaire est le fruit d’une rencontre, au travers d’un tableau, Fjäll – studie från Nordlandet (Montagnes - étude du pays du Nord), exposé au musée d’art moderne de Stockholm. Aimantée par l’oeuvre en même temps qu’intriguée par les éléments biographiques repris dans son cartouche de présentation, Sophie Van der Linden a aussitôt décidé d’écrire sur l’artiste suédoise Anna Boberg, non pas une biographie, mais une œuvre romanesque habitée par la personnalité et par la passion créatrice de cette femme étonnante.
Issue de la haute bourgeoisie suédoise et épouse du grand architecte Ferdinand Boberg, Anna est au début du XXe siècle créatrice d’art décoratif. Lui bâtit, elle décore. Comme elle raffole des îles Lofoten, un archipel en mer de Norvège, au nord du cercle polaire, il lui a construit une cabane où elle vient chaque hiver, la plupart du temps seule, peindre à satiété les subtiles variations de la lumière autour des montagnes et des fjords pris par la neige et la glace, parfois sous la gloire d’imprévisibles et spectaculaires aurores boréales. Bravant les conditions glaciales dans ses peaux de phoque, la très convenable et respectable Suédoise se mue ainsi trente-trois hivers de suite, et jusqu’à celui qui précède sa mort en 1935, en ermite sauvagement dépenaillée, tout entière à la capture des « vibrantes oscillations chromatiques » qui la mettent au défi de parvenir à « peindre du blanc qui ne soit pas l’absence, peindre une lumière qui ne soit pas matière ».
Sans formation à la peinture et donc sans armes face « aux couleurs, aux variations, à la matière brute » qui font l’unicité des Lofoten, c’est loin de tout académisme, dans un incertain mais inventif travail de recherche, qu’Anna se collette aussi bien avec les éléments et les intempéries qu’avec l’évanescence de paysages échappant à leur capture picturale. Son obsession créatrice répond à « un appel tenace », « celui du sens profond qu[‘elle a] trouvé dans la peinture de ce territoire indocile », et dont l’urgence la pousse à tout quitter, mari, amour, confort, le temps d’un assouvissement saisonnier. Elle travaille dehors, dans un froid et des conditions dantesques, attaquant ses esquisses directement à la peinture, les rehaussant ensuite parfois de tracés au fusain en une technique singulière et inédite où se mêlent des influences impressionnistes.
Est-ce en raison de l’époque qui n’admet les femmes dans les salons de peinture qu’avec « de mignonnes et inoffensives compositions florales » et certainement pas « avec des paysages abrupts qui supposent qu’on se soit confronté, harnaché de peaux d’animaux, à leur nature hostile » ? Mieux accueillie à Paris et à Rome qu’à Stockholm où elle demeure plus controversée, elle acquiert de son vivant une certaine notoriété avant de disparaître sans postérité, contrairement à son mari aux œuvres monumentales toujours très en vue en Suède. Ecrit à la première personne et adressé au cher et tendre Ferdinand, le récit se fait l’écho d’une détermination hors norme pour espérer exister en tant qu’artiste à part entière, et non dans la seule ombre d’un mari attirant toute la lumière. Fallait-il donc l’aimer, ce « geste de peindre non pas un paysage mais dans ce paysage, dans un territoire vierge de représentation [à] constamment inventer dans des efforts démesurés », pour préférer rester sans enfant et se transformer en ermite de l’Arctique plusieurs mois par an ? Fallait-il donc aussi qu’il comble un puissant manque, de beauté, de liberté et d’accomplissement, pour exalter une telle passion artistique ?
Bref et intense, le récit qui, tout en nous imprégnant de l’âpre splendeur et des lumières changeantes des paysages arctiques, nous fait partager les réminiscences, les doutes et les émerveillements de l’artiste septuagénaire lors de ce qu’elle ignore encore son dernier séjour aux Lofoten, dessine une très crédible incarnation romanesque, partagée entre art et amour, de cette femme peintre oubliée. Une très belle occasion de lui rendre justice en découvrant son œuvre, si singulière et fascinante. Coup de coeur.
Arctique solaire est le fruit d’une rencontre, au travers d’un tableau, Fjäll – studie från Nordlandet (Montagnes - étude du pays du Nord), exposé au musée d’art moderne de Stockholm. Aimantée par l’oeuvre en même temps qu’intriguée par les éléments biographiques repris dans son cartouche de présentation, Sophie Van der Linden a aussitôt décidé d’écrire sur l’artiste suédoise Anna Boberg, non pas une biographie, mais une œuvre romanesque habitée par la personnalité et par la passion créatrice de cette femme étonnante.
Issue de la haute bourgeoisie suédoise et épouse du grand architecte Ferdinand Boberg, Anna est au début du XXe siècle créatrice d’art décoratif. Lui bâtit, elle décore. Comme elle raffole des îles Lofoten, un archipel en mer de Norvège, au nord du cercle polaire, il lui a construit une cabane où elle vient chaque hiver, la plupart du temps seule, peindre à satiété les subtiles variations de la lumière autour des montagnes et des fjords pris par la neige et la glace, parfois sous la gloire d’imprévisibles et spectaculaires aurores boréales. Bravant les conditions glaciales dans ses peaux de phoque, la très convenable et respectable Suédoise se mue ainsi trente-trois hivers de suite, et jusqu’à celui qui précède sa mort en 1935, en ermite sauvagement dépenaillée, tout entière à la capture des « vibrantes oscillations chromatiques » qui la mettent au défi de parvenir à « peindre du blanc qui ne soit pas l’absence, peindre une lumière qui ne soit pas matière ».
Sans formation à la peinture et donc sans armes face « aux couleurs, aux variations, à la matière brute » qui font l’unicité des Lofoten, c’est loin de tout académisme, dans un incertain mais inventif travail de recherche, qu’Anna se collette aussi bien avec les éléments et les intempéries qu’avec l’évanescence de paysages échappant à leur capture picturale. Son obsession créatrice répond à « un appel tenace », « celui du sens profond qu[‘elle a] trouvé dans la peinture de ce territoire indocile », et dont l’urgence la pousse à tout quitter, mari, amour, confort, le temps d’un assouvissement saisonnier. Elle travaille dehors, dans un froid et des conditions dantesques, attaquant ses esquisses directement à la peinture, les rehaussant ensuite parfois de tracés au fusain en une technique singulière et inédite où se mêlent des influences impressionnistes.
Est-ce en raison de l’époque qui n’admet les femmes dans les salons de peinture qu’avec « de mignonnes et inoffensives compositions florales » et certainement pas « avec des paysages abrupts qui supposent qu’on se soit confronté, harnaché de peaux d’animaux, à leur nature hostile » ? Mieux accueillie à Paris et à Rome qu’à Stockholm où elle demeure plus controversée, elle acquiert de son vivant une certaine notoriété avant de disparaître sans postérité, contrairement à son mari aux œuvres monumentales toujours très en vue en Suède. Ecrit à la première personne et adressé au cher et tendre Ferdinand, le récit se fait l’écho d’une détermination hors norme pour espérer exister en tant qu’artiste à part entière, et non dans la seule ombre d’un mari attirant toute la lumière. Fallait-il donc l’aimer, ce « geste de peindre non pas un paysage mais dans ce paysage, dans un territoire vierge de représentation [à] constamment inventer dans des efforts démesurés », pour préférer rester sans enfant et se transformer en ermite de l’Arctique plusieurs mois par an ? Fallait-il donc aussi qu’il comble un puissant manque, de beauté, de liberté et d’accomplissement, pour exalter une telle passion artistique ?
Bref et intense, le récit qui, tout en nous imprégnant de l’âpre splendeur et des lumières changeantes des paysages arctiques, nous fait partager les réminiscences, les doutes et les émerveillements de l’artiste septuagénaire lors de ce qu’elle ignore encore son dernier séjour aux Lofoten, dessine une très crédible incarnation romanesque, partagée entre art et amour, de cette femme peintre oubliée. Une très belle occasion de lui rendre justice en découvrant son œuvre, si singulière et fascinante. Coup de coeur.