En cours de chargement...
Jorge Luis Borges se plaisait à dire qu'il laissait à d'autres le soin de se glorifier des livres qu'ils avaient écrits, car il préférait pour sa part tirer gloire des livres qu'il avait lus. Cette anecdote donne le ton d'Alphabets, ouvrage dans lequel Claudio Magris nous convie à un long voyage à travers des livres qui ont laissé en lui une durable empreinte. La littérature est à ses yeux une expérience de vie.
Elle soutient ou attise l'intensité de notre existence et en dilate infiniment les confins. Il évoque dans Alphabets des livres qui nous forment, mais aussi des livres qui ont à la fois le pouvoir de nous blesser et d'apaiser la blessure. Des livres qui nous permettent de connaître et d'ordonner le monde, et d'autres qui en révèlent le chaos destructeur, l'enchantement et l'horreur. Des livres qui s'entrelacent à la vie, se confrontent à l'Histoire et nous marquent parfois de leur "signe absolu" .
Des livres qui transcendent leur propre perfection esthétique pour dire la douleur non moins que la beauté, l'amour non moins que la tragédie ou l'abjection. Des livres traversés par des lueurs salvatrices et d'autres qui se penchent au bord du néant. Au terme d'un vaste et passionnant périple qui nous emmène à la rencontre de nombreux écrivains et qui explore des thèmes aussi divers que la colère, le courage, la mélancolie ou la guerre, Alphabets se conclut par une réflexion lucide et nuancée sur les rapports entre littérature, éthique et politique.
On découvre alors que, avec ce nouveau livre, le grand écrivain triestin a dessiné en filigrane une sorte d'autobiographie littéraire, comme dans le célèbre apologue borgésien où un artiste peint des paysages, des montagnes, des îles et s'aperçoit au soir de sa vie qu'il a en réalité composé son autoportrait.
Une promenade à travers notre histoire littéraire
Il s'agit d'un recueil d'articles publiés depuis une dizaine d'années. J'ai retrouvé avec beaucoup de plaisir l'homme de culture qu'est Claudio Magris, et sa façon de s'appuyer sur nos mythologies et notre histoire littéraire pour visiter et éclairer des thèmes de société. Magris me semble être un homme résolument optimiste, un humaniste au sens généreux du terme, qui porte sur le monde qui l'entoure un regard très nuancé et subtil. Il n'est pas démonstratif, il confronte et interroge.
Ce que j'ai aimé aussi dans ce livre, c'est l'envie qu'il donne de lire ou de relire d'autres auteurs, un texte-gigogne en quelque sorte, qui ouvre sur l'infini variété de la pensée humaine et de son expression. En cela, il est particulièrement enthousiasmant.