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Ce beau livre illustré n'est pas un roman, pas un essai, pas un recueil de poèmes, ni de nouvelles... ce sont des fragments de vie qui ne composent pas une autobiographie mais l'effleurent. Le fragment dans ce groupement de textes [... ] est une "garantie de liberté" nous dit Denise Brahimi dans sa préface. Illustrés d'aquarelles ou de photos en couleur, ce sont des moments de ce que l'auteure a vécu seule ou avec les siens.
Des êtres, des images, des physionomies, des sentiments, des lieux, qui se sont inconsciemment inscrits, en elle, comme un livre à écrire. Alger, Oujda, Portsay... une ballade qui nous transporte dans un voyage insolite. Les personnages de ces mémoires, sont aussi les témoins de ce que fut une partie, peu connue, des profondeurs de la société algérienne. Les quelques arpents de leurs vies dont l'auteure a tenté d'esquisser la photographie, seulement la photographie, chassent les vieilles images qui collaient à la peau des habitants de cette Algérie de la fin du XIXe siècle et du début du XXe où vivait, bien avant les colonisations française et ottomane, une aristocratie traditionnelle avec une histoire et une culture dont on ne rend pas souvent compte.
Comme dans toutes les sociétés précapitalistes, avant la ''démocratie'', ce sont bien ceux-là qui marquent l'histoire. Bien sûr ils ne représentent qu'une frange de la société, mais cette classe-là, ou plutôt cette catégorie de classe, n'est, à notre connaissance, que très rarement évoquée chez les historiens ou les sociologues. Elle appartient aux écrivains. Avec une écriture mêlant prose et poésie dont parle magnifiquement Denise Brahimi, Behja Traversac nous ouvre les voies de l'intime lorsqu'il tend à l'universel.
Déchirure de l'exil
Mis en valeur par les belles aquarelles de Catherine Rossi-Legouet et par une édition de qualité, ce recueil rassemble textes et poèmes écrits à différentes périodes. Tous sont évocateurs des liens fusionnels de l’auteur avec l’Algérie, pays de son enfance et de sa jeunesse, quitté en 1991.
Si quelques repères permettent d’en deviner assez aisément la chronologie, ce n’est pas l’autobiographie qui importe ici. Ce livre se veut une mosaïque de fragments, au travers des souvenirs et des émotions qui ont traversé le temps, ouvrant autant de trouées dans les brumes de la mémoire et composant un tableau d'ensemble mélancolique et poétique. De ces différentes évocations, aussi nostalgiques que passionnées, ressort l’amour viscéral de Behja Traversac pour ce pays qu’elle aura finalement décidé de quitter, sans qu’il ne cesse jamais de l’habiter. Cette terre lui aura laissé dans le coeur la tendresse d’êtres chers et perdus, les éclats de joie d’une enfance et d’une jeunesse heureuses, les ombres et les lumières d’une Histoire aux multiples fracas aboutissant pour elle à la déchirure de l’exil...
Tous ces textes assemblés finissent par dessiner, en pointillés et comme par transparence, la trajectoire d'une vie. Ils révèlent surtout un regard sensible et lucide sur l'évolution de l'Algérie ces soixante dernières années, dans une prise de recul empreinte d'une sagesse attristée, mais aussi d'une ferme volonté de vivre en accord avec soi-même. La femme engagée n'est pas loin, prête à se mobiliser contre l'injustice et pour les droits fondamentaux : démocratie, laïcité, égalité hommes-femmes et liberté d’expression.
Cette ode sincère et émouvante à la terre d'Algérie mêle passé et présent, séismes intimes et soubresauts historiques, avec autant de force que d'émotion.