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Le retour du plus célèbre faux de la littérature antijuive dans l?actualité, les Protocoles des Sages de Sion, nous a conduit à publier une nouvelle édition revue et augmentée de l?étude, épuisée depuis plusieurs années, que lui avait consacré Pierre-André Taguieff en 1992.
Les « Protocoles » ont été fabriqués à Paris, en 1900-1901, par les services de la police politique secrète du Tsar, l?Okhrana, qui a fait appel, pour réaliser ce travail, au faussaire Matthieu Golovinski.
Ce document, se présentant comme les minutes de séances secrètes tenues par les plus hauts dirigeants du « judaïsme mondial », était censé révéler leur programme de conquête du monde.
Dès 1921, la démonstration philologique a été faite qu?il s?agissait d?un faux paraphrasant le Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, pamphlet alors bien oublié de l?avocat Maurice Joly, publié à Bruxelles en 1864, et dirigé contre Napoléon III.
Cependant, après cette démonstration sans appel, les « Protocoles » n?en ont pas moins continué leur course, jusqu?à devenir un best-seller planétaire.
Le principal but des faussaires de l?Okhrana était de disqualifier toute tentative de modernisation « libérale » de l?Empire tsariste en la présentant comme une « affaire juive » ou « judéo-maçonnique ». De 1903 à la révolution d?Octobre, les « Protocoles » sont restés une arme idéologique dans les mains des antisémites russes et des policiers manipulateurs.
Le faux n?est devenu le principal vecteur du mythe de la « conspiration juive mondiale » qu?après 1917. Le « péril juif » a pris les couleurs du « péril rouge » avec le meurtre de la famille impériale (17 juillet 1918), dénoncé comme un « crime rituel » commis par les « bolcheviks juifs ».
Utilisés d?abord comme machine de guerre idéologique contre le bolchevisme, les « Protocoles » ont été exploités à d?autres fins : expliquer après coup le déclenchement de la Grande Guerre comme la défaite de l?Allemagne par une machination juive, dénoncer la prétendue collusion des Juifs et de la « haute finance internationale », réduire les régimes démocratiques à des masques d?une « ploutocratie mondiale à tête juive », stigmatiser le sionisme comme une entreprise juive occulte de domination du monde, enfin démoniser l?Etat d?Israël, mythifié en tant que centre du « complot juif mondial ».
Les « Protocoles » sont ainsi présents dans l?attirail idéologique du « nouvel antisémitisme » qui se déchaîne après la guerre des Six Jours (juin 1967). Depuis, la nouvelle judéophobie à base « antisioniste » s?est enrichie des négations du « révisionnisme », tandis que, dans les pays d?Europe de l?Est (communistes, puis post-communistes) comme dans les pays arabes et plus largement dans le monde musulman, la « conspiration juive internationale » est devenue le « complot sioniste mondial ».