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Jean-Pierre Filiu offre à lire une histoire du monde arabe depuis l'expédition d'Égypte en 1798 jusqu'à aujourd'hui. Il montre de façon magistrale que l'histoire des Arabes est intimement liée à la nôtre, celle de l'Occident, de l'Europe, de la France, et que ces deux siècles souvent tragiques et sanglants sont aussi l'histoire d'une émancipation et d'une libération.
Depuis des décennies, l'actualité offre l'image d'un monde arabe sombrant dans la violence et le fanatisme.
Comme si une malédiction frappait ces peuples, de l'interminable conflit israélo-palestinien aux guerres d'Irak et de Syrie, en passant par l'essor du jihadisme international.
Jean-Pierre Filiu remonte à l'expédition de Bonaparte en Égypte, en 1798, pour nous livrer une autre histoire des Arabes. Une histoire intimement liée à la nôtre, celle de l'Occident, de l'Europe, de la France. Une histoire faite d'expéditions militaires et de colonisations brutales, de promesses trahies et de manouvres diplomatiques, une histoire de soutien à des dictatures féroces ou à des régimes obscurantistes, mais tous riches en pétrole.
Cette " histoire commune " qui a fait le malheur des Arabes ne doit pas faire oublier une autre histoire, largement méconnue : une histoire d'émancipation intellectuelle, celle des " Lumières arabes " du XIXe siècle, mais aussi une histoire d'ébullition démocratique et de révoltes sociales, souvent écrasées dans le sang.
Autant de tentatives pour se libérer du joug occidental et de l'oppression des despotes, afin de pouvoir, enfin, écrire sa propre histoire.
Sous la plume de Jean-Pierre Filiu, les convulsions du présent se prêtent alors à une autre lecture, remplie d'espoir : dans la tragédie, un nouveau monde arabe est en train de naître sous nos yeux.
Prix Augustin-Thierry des Rendez-vous de l'histoire de Blois 2015
Les Arabes, leur destin et le nôtre
Jean-Pierre Filiu, professeur en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences-Po (Paris), nous livre une histoire passionnante des Arabes.
Tout débute en 1798 avec l’expédition égyptienne de Bonaparte. Celle-ci opère un véritable tournant. Cet « évènement-Janus » (à la fois agression coloniale et entreprise culturelle) va avoir « un impact profond et durable ».
C’est là que débute ce que les historiens arabes ont nommé la Nahda, littéralement la « Renaissance », équivalent des Lumières européennes. C’est grâce à elle que les Arabes vont prendre conscience d’eux-mêmes. Le XIXe siècle va alors permettre une « entreprise multiforme d’émancipation intellectuelle, d’affirmation nationaliste, d’aggiornamento islamique, de développement économique, de rationalisation administrative et d’avancée institutionnelle ». Mais les Arabes doivent alors tâcher de contrer à la fois la domination ottomane et l’expansion occidentale.
L’ambition de la première, à rallier sous la bannière du calife, les peuples musulmans de toutes les origines, a échoué.
Quant à la politique occidentale dans les pays arabes, elle a eu de terribles conséquences pour la Nahda. Les décideurs français et britanniques ont refusé de traiter les Arabes sur un pied d’égalité. Il y avait alors une volonté de les soumettre plutôt que de les associer. Alors que dans le même temps, ils ont sollicité leur aide contre les empire ottoman et allemand durant la Première Guerre Mondiale.
L’Arabie Saoudite est un exemple frappant puisque cet état est fondé sur une idéologie anti-Nahda, le wahhabisme. Elle a pu tirer les plus grands bénéfices du déni européen du droit des peuples arabes à l’autodétermination. Comme l’écrit Jean-Pierre Filiu, « il faut voir dans cet implacable processus une des raisons majeures de l’affaiblissement des Lumières arabes ». Ces choix ont encore un impact aujourd’hui puisqu’il existe une profonde incompréhension sur les choix politiques moralement discutables et stratégiquement hasardeux de la France et de la Grande-Bretagne.
Cependant, si ce mouvement des Lumières a été ralenti par les marchandages territoriaux de la Première Guerre Mondiale, la colonisation, les régimes dictatoriaux qui se sont empressés de le détourner, il ne s’est pour autant pas interrompu, bien au contraire, car les tendances lourdes du XIXe siècle « se poursuivent en s’approfondissant » notamment dans l’instruction, dans la production littéraire.
Comme l’écrit Jean-Pierre Filiu, « Deux siècles plus tard, pour les peuples arabes, la Nahda n’a pas épuisé sa promesse de libération ». On voit notamment son influence dans la campagne de désobéissance civile en Egypte en 1919, bien avant que Gandhi ne popularise cette forme de mobilisation mais également sous les années de vie parlementaire, de pluralisme partisan et de presse.
Jean-Pierre Filiu nous livre ici un superbe essai très loin des idées reçues sur les pays arabes qui sont bien trop souvent assimilés à la violence et à l’arbitraire.
« C’est bel et bien en suivant le chemin de l’émancipation individuelle et collective, tracé dès le XIXe siècle par les pionniers des Lumières arabes, que peut être conjurée la monstrueuse menace des despotes et des jihadistes, les uns alimentant les autres ».