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" La musique a des accords que les mots ne peuvent dire, ni même comprendre ", mais Xavier-Marie Bonnot parvient, avec ses mots, à décrire l'une des plus sombres périodes de l'Histoire sur fond de musique et d'art, contraints et fanés par le nazisme.
Berlin, 1932. Wilhelm Furtwängler est l'un des plus grands chefs d'orchestre allemands. Il dirige l'orchestre philarmonique de Berlin et éblouit son public par son génie virtuose.
1934.
Hitler est chancelier et détient tous les pouvoirs, c'est le début des années noires. Le nazisme s'impose et dépossède les artistes de leur art. Les juifs sont exclus de l'orchestre et contraints de s'exiler. La culture devient politique. La musique devient un véritable instrument de propagande. Continuer d'exercer son art mais en se soumettant au régime du III Reich ou fuir l'Allemagne ? Pour Furtwängler, ce choix n'a pas de raison d'être.
Mais l'art est-il véritablement au-dessus de la politique ? La passivité étant souvent interprétée comme un signe d'acceptation et de collaboration, cela pourrait bien lui porter préjudice...
En parallèle, Rodolphe Bruckmann, fils d'une célèbre cantatrice ayant chanté dans les opéras les plus prisés de la capitale, contemple et vit les évènements avec son regard de jeune garçon. La guerre se profile au loin mais lui ne comprend pas.
De ses yeux naïfs, il voit tous ces SS qui ont fière allure dans leurs uniformes. Il ne perçoit pas le mal. Lui, ce qu'il veut, c'est devenir le plus grand chef d'orchestre que l'Allemagne n'ait jamais connu. Il a ce don en lui. Les notes lui parlent, le transportent. La musique l'anime depuis toujours et ni la guerre, ni la déportation de sa mère, ni l'absence de père, ne parviendront à détruire ses ambitions.
Il le sait, il sera le prochain Furtwängler.
Le destin de ces deux âmes se croisent et se rejoignent harmonieusement, comme des notes de musique, pour former la plus belle des partitions. Le positionnement de Wilhelm Furtwängler pendant la seconde guerre mondiale est une zone obscure éclairée par la plume de Xavier-Marie Bonnot, qui, par son histoire, écrit l'Histoire.
L’art peut-il se placer au-dessus de la morale ?
Paris, le 6 mai 1954. Rodolphe a vingt-neuf ans. Il est chef d’orchestre et, ce soir, il a dirigé la Neuvième symphonie de Beethoven. A son retour, sa mère l’informe que son imprésario a téléphoné : « le Théâtre national du Danemark cherche un chef pour Tristan et Isolde. » (p. 18) Christa connaît les raisons de l’hésitation de son fils : cet opéra en trois actes a été composé par Wagner, celui que les nazis aimaient tant. Elle lui indique qu’il s’agit de remplacer le célèbre maestro, Wilhelm Furtwängler. Elle ajoute que c’est un devoir pour lui d’accepter. Rodolphe a été Résistant et sa mère a été déportée. Aussi, avant de prendre sa décision, il accepte de rencontrer Furtwängler. Les deux hommes, chacun de leur côté, se sont interrogés sur ce qui avait permis l’arrivée d’Hitler au pouvoir. L’un était un jeune enfant, l’autre, un artiste adulé par une nation entière et son image a été utilisée par la propagande nazie.
Dans l’avant-propos, Xavier-Marie Bonnot précise que « seuls les personnages de Christa et Rodolphe Meister relèvent de la pure fiction. Les autres appartiennent à l’histoire la plus sombre de l’humanité, celle du Troisième Reich » (p. 9).
En 1932, quand il avait sept ans, Rodolphe avait rencontré Wilhelm Furtwängler. Le petit garçon vivait seul, à Berlin, avec sa mère, une cantatrice talentueuse. Elle se produisait sur les plus grandes scènes et il souffrait de ses absences. Il était souvent gardé par Eva, une Allemande de dix-huit ans, qui admirait Hitler. Aussi, il était lui-même fasciné par le nazisme, puisque son rêve de gamin était d’épouser la jeune fille. Christa avait « choisi la rébellion » (p. 123), refusant, par exemple, de faire le salut nazi. Le parti lui avait alors trouvé un grand-père juif et, en 1938, elle avait dû quitter l’Allemagne avec son enfant. Ils s’étaient réfugiés à Paris. Hélas, la France occupée n’a plus été un abri et la cantatrice a été emmenée à Birkenau.
En 1933, le Reich et Hitler avaient confié la responsabilité de l’Orchestre philharmonique de Berlin à Wilhelm Furtwängler. Alors que Goebbels avait ordonné que plus aucun Juif ne devait jouer dans un orchestre, Furtwängler a profité de son statut pour sauver des musiciens Juifs de la déportation. Refusant de mêler l’art à la politique, il a démissionné de ses fonctions, mais les nazis ont utilisé sa notoriété dans leur propagande. Après la guerre, il lui sera reproché de ne pas avoir quitté l’Allemagne. Thomas Mann lui a écrit que ce choix avait apporté « une caution passive aux nazis », alors que Yehudi Menuhin l’a soutenu. L’auteur décrit la complexité de la position de Wilhelm Furtwängler. Il a été forcé à certaines compromissions, mais il estimait que rester et continuer à faire vivre la musique était sa manière de résister. Xavier-Marie Bonnot dépeint les doutes qui ont agité le chef d’orchestre et l’image qu’il a renvoyée. Ce roman relate, également, les accusations perpétrées contre lui, après la guerre, ainsi que sa comparution judiciaire. Le passage au sujet de son procès m’a fortement émue.
L’art peut-il se placer au-dessus de la morale ? C’est la question que pose l’auteur, à travers l’histoire de Wilhelm Furtwängler et celle de Christa et son fils, ce qui lui permet d’apporter plusieurs réponses à cette interrogation. La vision de Rodolphe enfant se joint à sa perception d’adulte, il raconte l’évolution de celle-ci, à la lecture des évènements qu’il a vécus. J’ai adoré Berlin Requiem, qui rappelle que chaque acte, que chaque parole et chaque refus pouvait conduire dans les camps de la mort et que ces mêmes faits ont été perçus de manière contraire, après la guerre, avec le prisme de l’Histoire. Pour prolonger la lecture, j’ai écouté les œuvres citées dans le livre, car les descriptions de Xavier-Marie Bonnot ont attisé ma curiosité.