" Plus on réfléchit à la notion de cause, plus elle paraît obscure ". Cette phrase, la première du chapitre sur la causalité d'un ouvrage récent, les coordonnateurs de ce dossier la reprennent volontiers à leur compte. Nous pensions, comme probablement de nombreux lecteurs, que même si nous ne nous étions guère souciés jusqu'à présent de définir précisément la cause, des experts lavaient fait avant nous. Or ce qui paraît à peine croyable pour une notion constamment invoquée que ce soit dans la vie quotidienne ou dans le discours scientifique et technique, le consensus entre experts sur une définition de la cause est extrêmement faible. Pour certains, la cause existe dans le monde indépendamment de toute observation alors que pour d'autres elle n'est que le fruit d'une tendance de l'esprit humain à analyser tout ce qu'il observe en termes de causes et d'effets. Elle est consubstantielle à l'idée d'action, donc de libre arbitre, disent les uns ; elle garde tout son sens même si on contemple passivement les phénomènes, répondent les autres. La contiguïté spatio-temporelle de la cause et de son effet est pour les uns une condition nécessaire, pour les autres elle n'a qu'une valeur heuristique. Sa nature est tantôt considérée comme binaire : A cause ou ne cause pas B, et tantôt convie graduelle. Elle doit se manifester par un enchaînement nécessaire, même si celui-ci est sujet à des facteurs encore inconnus : au contraire. elle ne peut se révéler que par des considérations probabilistes. La classification aristotélicienne en cause matérielle, formelle, efficiente, et finale reste à ce jour d'une totale pertinence, dit-on ici, on doit la ranger au rayon des vieilles lunes, dit-on là. Cette liste pourrait être prolongée dans d'autres directions : faut-il réserver la causalité aux phénomènes physiques, domaine où règnent des lois et préférer parler de raisons dans le domaine des phénomènes mentaux, qui serait régi par des nonnes ? Doit-on nécessairement associer l'idée de cause à celle d'événements contrefactuels ? A un transfert de matière ou d'information ? Et peut-on en premier lieu dégager un " noyau conceptuel" unique de la notion de cause à travers les différentes disciplines qui en font usage ou faut-il se résigner à une pluralité irréductible du concept ? Telles nous apparaissent les principales caractéristiques sur lesquelles s'affrontent philosophes, épistémologues et autres experts ès causalité. Devant un tel pavage, il nous a semblé intéressant de faire le point, non pas sur la cause en tant que telle, mais sur le raisonnement causal. En effet, si l'essence de la notion de cause peut être renvoyée au rayon de la Métaphysique sans trop d'inconvénient, on ne peut pas faire l'économie d'une analyse du raisonnement causal. Quelle que soit la définition - ou l'absence de définition - que les chercheurs donnent à un énoncé du type " A cause B ", ils ne peuvent pas ignorer, particulièrement en Sciences Cognitives, que cet énoncé a des conséquences, et nous avons voulu rassembler dans ce dossier un échantillon de la façon dont on aborde dans différents contextes, le raisonnement sur des énoncés de ce type.