« Je vais mourir dans une cellule d'unité psychiatrique, et il faut qu'on comprenne pourquoi. » Aujourd’hui journaliste littéraire, Alice Develey puise dans sa propre expérience pour raconter, dans un premier roman où perce la colère, la descente aux enfers d’une adolescente anorexique, hospitalisée dans des conditions traumatisantes.
A quatorze ans, Alice est un peu gothique, passe sa vie dans les livres pour oublier le divorce de ses parents et trompe sa solitude avec Sissi, une voix méchamment autoritaire qui s’est installée dans sa tête et qui l’encourage dans ce qui est devenu une obsession, perdre gramme après gramme, quitte à ne plus se nourrir que de pommes. Elle qui ne se sent pas malade, et certainement pas encore assez maigre, ne comprend pas pourquoi elle se retrouve hospitalisée, soumise à l’autorité de soignants prêts à tout pour la faire manger et la remplumer.
Commence pour l’adolescente un long dévissage vers le fond toujours plus abyssal de l’enfer. Tout au renflouage du corps de la jeune fille, le personnel médical indifférent aux causes de son problème use tour à tour, par calibre croissant faute de résultats – Alice a maintenant cessé toute alimentation et, prolongeant les violences subies, s’est mise à se mutiler toujours plus gravement –, des seules armes à son arsenal : punitions et coercition. Entre gavage par sonde, camisole chimique, mise à l’isolement et même ligotage sur son lit, Alice s’est mise à faire la navette entre le service des anorexiques et l’étage des postaigus en pédopsychiatrie.
Dans son naufrage au bout de l’incompréhension, de la violence et de la souffrance, Alice s’attache à ses semblables, camarades d’infortune qu’elle voit néanmoins partir une à une. Qu’est-ce qui l’empêche, à son tour, d’avoir envie de réintégrer le monde des vivants ? « Je n’ai pas peur de mourir, c’est vivre qui m’effraie ». Alors que Sissi l’insulte et la fait se sentir monstrueuse – « tu es une plaie, l’échec de tes parents, un boulet », « ta mère t’a jamais aimée, t’es qu’un poids, un énorme poids » –, la jeune fille s’est convaincue que seul le suicide pourra mettre fin à son calvaire.
Auparavant, plus que jamais étreinte par cette haine et cette colère qu’elle a pris l’habitude de retourner contre elle-même, « parce qu’à la fin il ne reste plus que ça, des mots » et parce « qu’on oublie ceux qui parlent pas », elle entreprend avec rage de jeter son histoire sur les pages d’un cahier. Et c’est ce journal, miroir d’un combat entre une intelligence âprement aiguisée et une force intérieure si obscure que les mots demeurent souvent impuissants à l’appréhender, qui donne sa forme à un récit d’une puissance et d’une justesse qui doivent tout à l’authenticité et à la profondeur du vécu.
Seize ans plus tard, la douleur et la colère d’Alice Develey sont toujours assez vives pour crever les pages de cette autofiction au langage sans détour, transpirant une impuissance violente et désespérée qui vous prend à la gorge et ne vous lâche plus. Retour sur une expérience largement indicible, ce texte est gros des questionnements qui continuent à assaillir l’auteur. Ici affleure la violence d’attitudes familiales comme une hypothèse contributive d’une profonde angoisse affective. Là sourdent l’accablement et la révolte face au cruel manque de moyens qui fait verser dans la maltraitance les services hospitaliers affiliés à la psychiatrie. Au final, ce cri revenu des enfers s'avère un témoignage inestimable, autant indispensable pour mieux se représenter les réalités de l’anorexie, que porteur d’espoir pour tous ceux qui se sentent aujourd’hui isolés dans un semblable cauchemar. Coup de coeur.
« Je vais mourir dans une cellule d'unité psychiatrique, et il faut qu'on comprenne pourquoi. » Aujourd’hui journaliste littéraire, Alice Develey puise dans sa propre expérience pour raconter, dans un premier roman où perce la colère, la descente aux enfers d’une adolescente anorexique, hospitalisée dans des conditions traumatisantes.
A quatorze ans, Alice est un peu gothique, passe sa vie dans les livres pour oublier le divorce de ses parents et trompe sa solitude avec Sissi, une voix méchamment autoritaire qui s’est installée dans sa tête et qui l’encourage dans ce qui est devenu une obsession, perdre gramme après gramme, quitte à ne plus se nourrir que de pommes. Elle qui ne se sent pas malade, et certainement pas encore assez maigre, ne comprend pas pourquoi elle se retrouve hospitalisée, soumise à l’autorité de soignants prêts à tout pour la faire manger et la remplumer.
Commence pour l’adolescente un long dévissage vers le fond toujours plus abyssal de l’enfer. Tout au renflouage du corps de la jeune fille, le personnel médical indifférent aux causes de son problème use tour à tour, par calibre croissant faute de résultats – Alice a maintenant cessé toute alimentation et, prolongeant les violences subies, s’est mise à se mutiler toujours plus gravement –, des seules armes à son arsenal : punitions et coercition. Entre gavage par sonde, camisole chimique, mise à l’isolement et même ligotage sur son lit, Alice s’est mise à faire la navette entre le service des anorexiques et l’étage des postaigus en pédopsychiatrie.
Dans son naufrage au bout de l’incompréhension, de la violence et de la souffrance, Alice s’attache à ses semblables, camarades d’infortune qu’elle voit néanmoins partir une à une. Qu’est-ce qui l’empêche, à son tour, d’avoir envie de réintégrer le monde des vivants ? « Je n’ai pas peur de mourir, c’est vivre qui m’effraie ». Alors que Sissi l’insulte et la fait se sentir monstrueuse – « tu es une plaie, l’échec de tes parents, un boulet », « ta mère t’a jamais aimée, t’es qu’un poids, un énorme poids » –, la jeune fille s’est convaincue que seul le suicide pourra mettre fin à son calvaire.
Auparavant, plus que jamais étreinte par cette haine et cette colère qu’elle a pris l’habitude de retourner contre elle-même, « parce qu’à la fin il ne reste plus que ça, des mots » et parce « qu’on oublie ceux qui parlent pas », elle entreprend avec rage de jeter son histoire sur les pages d’un cahier. Et c’est ce journal, miroir d’un combat entre une intelligence âprement aiguisée et une force intérieure si obscure que les mots demeurent souvent impuissants à l’appréhender, qui donne sa forme à un récit d’une puissance et d’une justesse qui doivent tout à l’authenticité et à la profondeur du vécu.
Seize ans plus tard, la douleur et la colère d’Alice Develey sont toujours assez vives pour crever les pages de cette autofiction au langage sans détour, transpirant une impuissance violente et désespérée qui vous prend à la gorge et ne vous lâche plus. Retour sur une expérience largement indicible, ce texte est gros des questionnements qui continuent à assaillir l’auteur. Ici affleure la violence d’attitudes familiales comme une hypothèse contributive d’une profonde angoisse affective. Là sourdent l’accablement et la révolte face au cruel manque de moyens qui fait verser dans la maltraitance les services hospitaliers affiliés à la psychiatrie. Au final, ce cri revenu des enfers s'avère un témoignage inestimable, autant indispensable pour mieux se représenter les réalités de l’anorexie, que porteur d’espoir pour tous ceux qui se sentent aujourd’hui isolés dans un semblable cauchemar. Coup de coeur.