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Si le roman a cru ne plus pouvoir croire en rien au point de ne plus assumer ni intrigue ni message
ni personnage, quelques francs-tireurs ont parié sur la foi en l’événement, sur le sens et sur la
présence quand même. Le Grand Meaulnes, les récits surréalistes, Le Rivage des Syrtes, les
romans d’André Dhôtel ou de Sylvie Germain, ces récits ont l’outrecuidance de raconter
l’émerveillement qui suspend à son incandescence toute temporalité, existentielle comme
narrative.
L’émerveillement est une émotion paradoxale, composée d’effroi et d’extase, de stupeur et d’éblouissement. Le « merveilleux pouvoir de sentir » dont s’enorgueillit Alain-Fournier irrigue le pari du récit surréaliste sur le réel qui inclut « tout l’au-delà de cette vie », tandis que « le sentiment de la merveille unique d’avoir vécu dans ce monde et dans nul autre » anime les personnages gracquiens.
« L’art de la défaillance » dhôtelien s’accorde à la « science de
l’égarement ». Enfin Sylvie Germain, dans une oeuvre complexe et composite, épique et lyrique,
chante « la splendeur et la douleur d’être ». En des temps d’indigence et de détresse, la nécessité
éthique de s’étonner, se réjouir, s’émerveiller s’aiguise et réenchante le réel de la logique du
sensible et du possible. Face à la "problématicité" de la modernité, "l’énigmaticité" suscite un
rapport émotionnel et imaginaire du sujet à l’objet fait d’adhésion, de confiance, d’abandon.
Il y a
une énergie dans l’émerveillement, une réponse à un envoi, une activité dans la passivité, une
passion dans l’état de suspension. Le propre des romans est d’articuler, d’agencer des histoires qui, pour ordinaires qu’elles soient, font vibrer un peu de cette stupeur d’être au monde. Ils mettent en musique et en récit une posture existentielle, une relation affective et imaginaire de l’ordre de la croyance.
Dans ce quand même, qui résonne de Breton à Ricoeur, me semblent se tenir et des défis esthétiques et des enjeux éthiques pour le vingt-et-unième siècle naissant.