Le nom de Marielle Macé est désormais synonyme d’érudition brillante, de volubilité intellectuelle et de réflexion exigeante. Ses ouvrages laissent pantois devant le spectacle de cette pensée en mouvement à la fois puissante et précise, jamais essoufflée et toujours lumineuse. Dans “Le temps de l’essai” (2006) elle examinait en quoi le genre de l’essai constitue le style comme un savoir et assimile l’écriture à la pensée, quelques années plus tard ”Façon de lire, manière d’être” (2011) se lira comme une célébration de la lecture en tant qu’expérience fondamentale,
celle qui nous permet d’inventer notre propre espace dans le monde.
On guettait donc la publication de son troisième ouvrage. On ne s’étonnera pas de son titre “Styles. Critique de nos formes de vie” qui prolonge la problématique qui traverse l’oeuvre de Marielle Macé depuis son premier livre. Ici encore l’auteure fait fi des barrières, des murs de béton et des passages de douane entre lesquels la littérature est parfois corsetée. Gabrielle Macé nous a habitués a une pensée libre, vagabonde et parfois braconneuse mobilisant fiction et non fiction, approche romanesque et réflexion philosophique et “Styles” ne déroge pas aux principes qui fondent le travail de cette normalienne, agrégée de lettres qui enseigne en France et aux Etats-Unis.
“Styles” tient l’engagement littéraire pour une dynamique capable de décrire les manières de vivre , de penser et d’imaginer. La littérature propose toujours de nouveaux horizons qui ne sont pas seulement d’attente… Elle travaille à construire des formes d’existences possibles, originales mais toujours au delà de ce qui se fait. Oui pour Gabrielle Macé la littérature est au coeur de nos vies, du moins de la vie de ceux qui lisent, ce qui ne constitue pas la majorité d’une population plus habituée au petit écran qu’aux longues soirées de lecture. Reste que la chercheuse envisage la littérature comme “conscience affûtée” pour laquelle le style n’est pas une question secondaire puisqu’elle pose celle des valeurs. En effet écrire sur les manières dont les hommes et femmes vivent ce n’est pas seulement en faire la description minutieuse mais aussi les juger et les classer selon une hiérarchie. Que devrions nous conserver, abandonner, combattre? Et dans cette perspective où l’engagement prend tout son sens Marielle Macé prend le parti de ceux qui rejettent le monde bourgeois. Et si son cheminement est très érudit, on notera cependant qu’il est pour le moins partisan car systématiquement orienté à gauche. On pourra simplement regretter qu’une autre tradition sans doute trop identitaire et traditionnelle pour notre auteure, mais qui constitue l’un des courants de la littérature, n’ait été abordée dans l’une des parties de l’ouvrage. Mais après tout on peut être savant sans être exhaustif, brillant et partial. Un essai élimine autant qu’il intègre et force de reconnaître qu’au terme de notre lecture les genres de vie auront été éclairés d’une lumière nouvelle où la littérature s’envisagerait comme une anthropologie qui prendrait sa place parmi les sciences sociales. A ce titre “Styles” est un essai à la fois vertigineux d’érudition, passionnant par les perspectives qu’il dégage et finalement profondément stimulant…
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)
en ce que tu lis transparait qui tu es...
Forme et valeur entretiennent un dialogue sans fin mais pas sans fond, au point que sans ce dialogue nul fond ne saurait advenir. Nous sommes interdépendants les uns des autres donc nos formes de vie se doivent d'etre compatibles à tout le moins, mais aussi valeureuses ... G.Macé nous enjoint de sortir de l'éthos de la domination par le style, rien de moins. Et elle le fait subtilement, sans diktat, en en appelant à l'acuité, la légitimité, l'utilité au sens fort, d'un "regard modal" qui ne serait pas du jugement de valeur bouffi de préjugés... Car l'Etre est avant tout manières d'etre... Merci à elle pour ce très élégant essai qui fait la part belle à la littérature. Dis- moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es... Je précise que point n'est besoin d'etre érudit (genre je connais tout par coeur depuis la nuit des temps) pour gouter à sa juste saveur l'intelligence qui coule en cette encre ; de quoi ancrer sa vie dans un réel plus fin nous est offert ici : allez-y sans précautions, ça se mange sans faim...(euh pardon ; ça se lit tout seul.)