Peut-on rire de tout ?

Peut-on rire de tout à une époque où la diffusion massive de l'ironie renvoie le cabaret du chansonnier, le Guignol lyonnais ou encore la boîte à sel au musée des accessoires surannés ? Johnny Hallyday, Françoise Sagan, Jean-Pierre Papin, Jean Alesi, Richard Virenque se sont-ils vraiment remis d'avoir été ridiculisés sans pouvoir répondre ? Pour un Jacques Chirac, élu président, dit-on, grâce aux Guignols de l'info, combien sont tombés au champ de l'exécution cathodique ? Appuyer le trait pour déclencher le rire est une chose. Déformer la personnalité pour en faire une sorte de monstre pitoyable en est une autre. Quand un humoriste se moque des handicapés mentaux, la justice ne bouge guère. Mais quand un maître queux saupoudre de Viagra son menu, le procureur se raidit... Où est la mesure ? Existe-t-il un nouveau type d'immunité pour les professionnels du comique ? Derrière le rire peut se cacher le pire et c'est trop souvent qu'il sert d'alibi aux débordements les plus tendancieux. Sous le masque du divertissement, on devine aujourd'hui les ingrédients de ce qui constitue, de sinistre mémoire, la plus subversive des propagandes. La raillerie institutionnelle ne fait pas parie de la panoplie des libertés. Cette dérive sera bientôt dommageable à tous. Et si la qualité première des humoristes était justement - vertu rare - de ne pas se prendre soi-même au sérieux ? Qui êtes-vous, messieurs les ronds-de-cuir du rire, et jusqu'où votre irrespect de la décence va-t-il vous conduire ? Pour reprendre Rabelais, " si science sans conscience n'est que ruine de l'âme ", rire sans conscience n'est que ruine de l'homme.