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Montaigne voit dans le commentaire, forme dominante de
l'activité intellectuelle à la Renaissance, le point
d'achoppement de la culture humaniste. L'interrogation sur le
sens des textes antiques a fait oublier la question de la vérité.
Loin de marquer un avancement vers davantage de clarté,
l'interprétation finirait par amoindrir notre intelligence du
monde. "II y a plus affaire à interpréter les interprétations qu'à
interpreter les choses, et plus de livres sur les livres que sur
tout autre subject : nous ne faisons que nous entregloser".
Nous pouvons dès lors faire l'hypothèse que nous n'aurions
pas l'expérience du réel, mais seulement celle d'une
interprétation portant sur d'autres interprétations, et ainsi de
suite. Blaise Pascal ne s'y trompera pas, qui verra dans le
problème de l'interprétation le coeur du scepticisme
montanien. Pourtant, il existe aussi un "besoin d'interpréter",
caractéristique de notre humaine condition, et une nécessité de
la vie sociale.
Ne peut-on y voir l'occasion privilégiée de
mettre à l'épreuve le jugement personnel, en le confrontant à
celui des auteurs ? Chef-d'oeuvre philosophique de
l'humanisme, les Essais font de l'interprétation l'élément le
plus troublant, et le plus prometteur, de la vie de l'esprit.