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A l'automne 1983, je quitte ma campagne au pied du Jura, pour suivre des cours à l'école du Louvre. Je découvre Saint-Germain-des-Prés, ses librairies, ses éditeurs, ses cafés, ses cabarets. Mais en Suisse, à la ferme, mon père est malade. J'apprends qu'il est à l'agonie le jour où je croise le nom d'Herschel Grynszpan, un adolescent juif ayant fui l'Allemagne nazie en 1936, et cherché refuge à Paris.
Il m'a fallu trente ans pour raconter son histoire en explorant celle de ma propre famille. J'ai frappé à de nombreuses portes, y compris celles des tombeaux. J'ai voyagé en carriole aux côtés de ma grand-mère, de ma mère et de mes deux oncles fuyant Berlin sous les bombardements alliés. Je me suis embarqué pour Alexandrie en compagnie de mes grands-parents paternels, et j'ai assisté à la naissance de mon père dans une maison blanche au bord du désert.
Un père dont j'ai tenu la main sur son lit de mort, avant de découvrir son secret. Herschel a cheminé à mes côtés durant mes périples, autant que j'ai cherché à retrouver sa trace.
RECOMMANDE PAR LE RESEAU CULTURE CHRONIQUE
MONARQUES de Philippe RAHMY
Monarques est une fresque prégnante. Monarques nous embarque. On part de Suisse, on passe par Paris, puis on bifurque vers Tel Aviv et Le Caire.
Je reçois à chaque fois les belles phrases de Philippe Rahmy de plein fouet, j’ai la sensation que son écriture me fonce dessus et je garde longtemps l’histoire en moi. Je me souviens de l’étoffe d’Allégra comme si j’avais lu le roman hier.
Monarques est tissé de fils en sommeil. Ils se sont enfilés au décès du père de l’auteur et ils ont brodé une trame pendant trente ans. Philippe Rahmy a assemblé les pièces durant sa résidence d’auteur au château de Lavigny en Suisse.
Monarques, c’est plusieurs histoires imbriquées les unes dans les autres. J’en ai dénombré cinq, mais j’ai peut-être mal lu. Tout ça n’a aucune importance, il n’y a qu’une seule histoire en réalité, elles s’empilent toutes dans le même carton. L’auteur nous invite dans sa famille et en même temps, il lie son destin à celui d’Herschel Grynszpan. Mes lacunes sont immenses, je n’ai jamais entendu parler d’Herschel Grynszpan, Philippe Rahmy va m’initier.
Herschel est un jeune juif qui a commis un attentat en 1938, à Paris, contre Ernst Vom Rath, le secrétaire de l’Ambassade d’Allemagne.
Philippe Rahmy porte l’histoire d’Herschel en lui, comme un coup de tampon qu’il se doit de laver dans l’écriture.
L’auteur a suivi la piste d’Herschel, il a remonté la trace du jeune juif. Il nous relate son parcours tout en se racontant lui : Philippe Rahmy, né dans une ferme suisse ; la Moraine.
En 1913, Ali, riche exploitant agricole égyptien, vient en Suisse pour acheter des vaches. Il fait affaire avec les grands parents maternels de Philippe Rhamy. Ali rentre en Egypte avec les vaches mais aussi avec Yvonne, la fille des fermiers suisses. Yvonne est enceinte. Elle met au monde Adly, le père de Philippe. Vous imaginez sans peine les heurts et les divergences qui ont bouleversé cette famille. L’auteur nous les confie, et on s’enfonce profondément dans le récit de cette tribu hors norme.
La quête d’Herschel et de lui-même conduit Philippe Rahmy en Egypte et en Israël.
Il y a un motif qui pousse l’auteur à calquer son destin sur celui d’Herschel mais pour le comprendre, il faut avancer dans la lecture.
Puis l’histoire, la grande, rattrape le lecteur. Elle lui murmure à l’oreille qu’il y a toujours eu des mouvements libéralismes immédiatement suivis d’autres plus sectaires. Monarques est plein de symboles ; l'avènement de Trump au moment où l’auteur rassemble les pans de son récit, puis les monarques sont ces papillons qui se déplacent en nuées de millions d’individus. Ils partent d'Afrique du Nord, traversent la Méditerranée par le détroit de Gibraltar ou via l’Italie pour échouer en Europe. L’auteur nous rappelle que l’idée d’un mouvement migratoire continu est inscrit dans nos gènes, un mouvement qu’il est vain, stupide et prétentieux de vouloir stopper. Monarques est haut en couleur, en odeurs et en émotion. C’est un récit dense, riche et attachant.
Voilà, c’était les dernières griffes de la plume de Philippe Rahmy. Des griffes à l’image de l’auteur, profondes et sans venin.
Il nous manquera.
Annick FERRANT