Schelling est le moins connu des " grands " philosophes : c'est que, sans doute, dans l'œuvre qu'il nous propose, il n'y a rien justement à connaître, aucun sens ultime et autonome qui puisse désormais se représenter, se résumer pour lui-même, se diffuser dans une quelconque postérité - rien d'autre que l'œuvre elle-même et le travail toujours recommencé de son impossible perfection. Pendant soixante années, de 1794 à 1854, qui sont les plus riches peut-être (parce que les dernières) de l'histoire de la philosophie, une pensée a cherché à se clore, à se comprendre, à s'arrêter, sans cesser de se voir rouverte par l'effondrement (le retournement) des structures où elle avait cru s'équilibrer. Il a semblé à l'auteur de cette étude que ces ruines successives finissaient par présenter un tracé signifiant, comme si le véritable " système " de Schelling s'écrivait peu à peu, hors de la vue du philosophe, dans un autre espace qui est celui de l'histoire même de son œuvre, jusqu'au moment où, dans sa " dernière philosophie ", tout le passé contradictoire se récapitule et redevient contemporain au sein d'une construction qui se présente elle-même comme dédoublée et interminable. On trouvera ici l'histoire de cette formation, de ce destin que Schelling a patiemment enduré sans jamais chercher à l'interrompre de manière prématurée, et qui fait de lui une figure proprement exemplaire. Grâce à cette œuvre en effet, où la pensée apparaît perpétuellement replongée dans la profondeur parfois désespérante de son travail, il devient possible d'approcher d'un peu plus près " l'acte et le lieu " de la philosophie, partout ailleurs masqués par la perfection superficielle de son résultat ; par là même, au-delà de l'individu Schelling, c'est une question plus vaste qui se trouve posée - la question : Qu'est-ce qu'une œuvre philosophique ?