Après la boucherie, l’habitat insalubre ou encore l’hôpital psychiatrique, Joy Sorman investit la machine judiciaire pour un nouvel ouvrage, entre roman et documentaire, pointant encore une fois de terribles failles.
Son préalable à l’écriture étant une phase d’enquête immersive, l’auteur a assisté, une fois par semaine pendant un an, aux audiences du palais de Justice de Paris Porte de Clichy. Violences conjugales, incestes, stupéfiants, comparutions immédiates ou procès pour terrorisme : elle s’est faite le témoin des différentes formes de justice avant d’imaginer son personnage, Bart, un cinquantenaire au chômage qui, se sentant injustement mis au rebut de la société, décide de s’installer jour et nuit à l’intérieur d’un tribunal pour au moins se rassurer en observant la justice dans son fief.
A mesure des procès auxquels il assiste, comme l’auteur avant lui, en pur observateur distancié, ses commentaires révèle une réalité dérangeante. Une fois familiarisé avec les procédures et le langage qui codifient le monde judiciaire, Bart réalise avec stupeur le flux d’affaires misérables traité chaque jour à l’abattage par des Cours engorgées et débordées. Ce sont toujours les mêmes histoires, petits délits à répétition et affaires sordides de stupéfiants et de violence, impliquant la même frange de population pauvre parlant mal le français, traitées mécaniquement en quelques minutes par des magistrats épuisés par des conditions de travail de plus en plus difficiles. Pas le temps de s’appesantir sur les individus et leurs histoires personnelles. Leur parcours chaotique marqué par la maltraitance n’appelle en retour qu’une autre forme de maltraitance sociale, dans une spirale infernale irrémédiablement descendante puisque les mesures punitives ne règlent aucun des problèmes de fond à l’origine de ces situations.
Bientôt, un constat s’impose à Bart, frappé de voir qu’« ici plus qu’ailleurs le mépris de classe s’exprime dans la langue » et laisse « le pouvoir du côté de ceux qui manient le verbe comme un lasso » : l’activité judiciaire qu’il est venue observer finit par se résumer à une confrontation sans fin entre magistrats et couches défavorisées de la population, en une sorte de reflet symbolique d’une lutte des classes sociales empreinte de violence systémique. Loin de rendre la justice, les tribunaux travaillent au maintien d’un statu quo considéré comme naturel et légitime par les politiques et par ceux qui vivent bien, les yeux obstinément détournés des circonstances collectivement engendrées menant au dévissage de certains. L’on retrouve ici la question d’une responsabilité sociale collective si bien escamotée que n’est pas près de régresser l’engorgement des tribunaux et des prisons : un sujet traité chacun à sa façon par divers auteurs, comme l’ex-avocate pénaliste Constance Debré dans son roman Offenses, ou encore Estelle Tharreau dans plusieurs des siens.
Ni essai ni pamphlet, le roman permet à Joy Sorman d’ajouter une histoire symbolique à ses tristes constats sur le terrain. Du chômage et du dévissage économique à la glissade du mauvais côté du miroir judiciaire, quand votre dégaine désocialisée et votre squat clandestin d’un tribunal vous désigne déjà à la suspicion, la ligne de crête peut s’avérer glissante, achevant alors fort ironiquement de boucler la boucle du récit.
Un livre documenté et édifiant qui, comme l’auteur s’en est maintenant fait une spécialité à mesure de ses investigations de thématiques sociétales peu glorieuses, nous replace face à ce que nous refusons habituellement de voir.
Après la boucherie, l’habitat insalubre ou encore l’hôpital psychiatrique, Joy Sorman investit la machine judiciaire pour un nouvel ouvrage, entre roman et documentaire, pointant encore une fois de terribles failles.
Son préalable à l’écriture étant une phase d’enquête immersive, l’auteur a assisté, une fois par semaine pendant un an, aux audiences du palais de Justice de Paris Porte de Clichy. Violences conjugales, incestes, stupéfiants, comparutions immédiates ou procès pour terrorisme : elle s’est faite le témoin des différentes formes de justice avant d’imaginer son personnage, Bart, un cinquantenaire au chômage qui, se sentant injustement mis au rebut de la société, décide de s’installer jour et nuit à l’intérieur d’un tribunal pour au moins se rassurer en observant la justice dans son fief.
A mesure des procès auxquels il assiste, comme l’auteur avant lui, en pur observateur distancié, ses commentaires révèle une réalité dérangeante. Une fois familiarisé avec les procédures et le langage qui codifient le monde judiciaire, Bart réalise avec stupeur le flux d’affaires misérables traité chaque jour à l’abattage par des Cours engorgées et débordées. Ce sont toujours les mêmes histoires, petits délits à répétition et affaires sordides de stupéfiants et de violence, impliquant la même frange de population pauvre parlant mal le français, traitées mécaniquement en quelques minutes par des magistrats épuisés par des conditions de travail de plus en plus difficiles. Pas le temps de s’appesantir sur les individus et leurs histoires personnelles. Leur parcours chaotique marqué par la maltraitance n’appelle en retour qu’une autre forme de maltraitance sociale, dans une spirale infernale irrémédiablement descendante puisque les mesures punitives ne règlent aucun des problèmes de fond à l’origine de ces situations.
Bientôt, un constat s’impose à Bart, frappé de voir qu’« ici plus qu’ailleurs le mépris de classe s’exprime dans la langue » et laisse « le pouvoir du côté de ceux qui manient le verbe comme un lasso » : l’activité judiciaire qu’il est venue observer finit par se résumer à une confrontation sans fin entre magistrats et couches défavorisées de la population, en une sorte de reflet symbolique d’une lutte des classes sociales empreinte de violence systémique. Loin de rendre la justice, les tribunaux travaillent au maintien d’un statu quo considéré comme naturel et légitime par les politiques et par ceux qui vivent bien, les yeux obstinément détournés des circonstances collectivement engendrées menant au dévissage de certains. L’on retrouve ici la question d’une responsabilité sociale collective si bien escamotée que n’est pas près de régresser l’engorgement des tribunaux et des prisons : un sujet traité chacun à sa façon par divers auteurs, comme l’ex-avocate pénaliste Constance Debré dans son roman Offenses, ou encore Estelle Tharreau dans plusieurs des siens.
Ni essai ni pamphlet, le roman permet à Joy Sorman d’ajouter une histoire symbolique à ses tristes constats sur le terrain. Du chômage et du dévissage économique à la glissade du mauvais côté du miroir judiciaire, quand votre dégaine désocialisée et votre squat clandestin d’un tribunal vous désigne déjà à la suspicion, la ligne de crête peut s’avérer glissante, achevant alors fort ironiquement de boucler la boucle du récit.
Un livre documenté et édifiant qui, comme l’auteur s’en est maintenant fait une spécialité à mesure de ses investigations de thématiques sociétales peu glorieuses, nous replace face à ce que nous refusons habituellement de voir.