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Le "Schweizerspiegel" est une sorte de tableau épique, 1 066 pages dans la première édition. Chronique exemplaire d'une famille dans la grande bourgeoisie zurichoise, il couvre une période de l'histoire suisse allant de la visite de Guillaume II en 1912 à la grève générale de 1918. Alfred Ammann, le père, conseiller national et colonel, libéral de la vieille école, assistera presque passivement, pendant les années de guerre, à son propre déclassement.
Le signe le plus évident de cette déchéance est fourni par son échec dans ses propres affaires, quand, s'étant décidé à construire une villa, un profiteur de guerre lui barrera la vue, dans tous les sens du terme. Cette variante des "Buddenbrooks" de Thomas Mann montre déjà que le roman d'Inglin s'inspire d'illustres devanciers : "Martin Salander" de Gottfried Keller en est un autre, et avant tout, "Guerre et paix".
Certes, ce sont moins ces modèles que leur réduction ou amplification qui sont caractéristiques du "Schweizerspiegel". La Suisse est dans la guerre, mais ne la fait pas ; la famille Ammann décline, mais ne disparaît pas. Cependant, le véritable héros du livre n'est pas une figure isolée, mais comme dans l'"Homme sans qualités" de Musil, une situation ; la situation d'exception, d'état de siège, de la Suisse, l'aventure non conclusive, mais ébranlante de la protection assurée par la neutralité armée, et, au fond, le drame de la neutralité elle-même.