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Au VIIIe siècle avant J.-C., Homère expose de manière frappante la dualité qui fonde la stratégie. Dans l'Iliade et l'Odyssée, le poète grec met en scène la guerre à travers deux personnages phares. Achille, héros de la force, est un soldat : son honneur est au-dessus de tout. Ulysse, héros de la ruse, est un stratège : seule la victoire compte. Cette opposition entre force et ruse structure dès l'origine l'histoire de la stratégie dans le monde occidental.
Jusqu'à présent, la force a davantage attiré l'attention des historiens. La ruse apparaît rarement comme un élément majeur de la stratégie. Au contraire, elle fait figure de repoussoir et se présente comme l'apanage du faible ou de l'étranger. Cet "orientalisme" militaire et stratégique n'est pas recevable, parce qu'il ne reflète pas la réalité historique et se fait l'écho d'un discours idéologique.
II s'agit donc d'en finir avec cette lecture stéréotypée, afin de comprendre ce que la stratégie doit à la ruse, en identifiant les moments clés, des guerres antiques aux mouvements terroristes du XXIe siècle. Se déploie ainsi une histoire longue de la stratégie, dégagée des préjugés culturels et ethniques, qui met en scène, pour la première fois et de manière systématique, le dialogue ininterrompu de la ruse et de la force.
RECOMMANDÉ PAR CULTURE-CHRONIQUE
Chez les grecs il y avait deux divinités qui intervenaient dans le développement d’un conflit guerrier : Kratos , la force et Mètis, la ruse. Jean-Vincent Holeindre nous propose une réflexion passionnante autour de cette combinaison qui structure depuis l’origine l’histoire de la stratégie en occident. Victor Davis Hanson remarque dans son ouvrage de référence “Le Modèle occidental de la guerre” que la ruse n’apparait jamais comme un élément majeur de la stratégie. La force a davantage attiré l’attention des historiens. A ce titre “La ruse et la force” constitue une rupture radicale avec la doxa occidentale dans ce domaine. L’enjeu de l’ouvrage de Jean-Vincent Holeindre est d’en finir avec le “modèle occidental de la guerre” dont la ruse serait exclue au motif qu’elle serait à la fois inefficace et illégitime.
L’auteur qui est l’un des meilleurs spécialistes français en matière de stratégie va réfuter méthodiquement la lecture étroitement culturaliste de la stratégie, qui enferme les discours et les faits militaires dans des identités fixes et naturalisées. Il y a une véritable volonté de la part d’Holeindre de montrer ce que la rue, dans la stratégie occidentale, doit à la ruse. Il s’agit véritablement d’une histoire sur la longue durée, dialectique et généalogique, des relations entre la ruse et la force.
L’historien met en évidence que ces deux approches de la stratégie renvoient à deux traditions militaires qui ont difficulté à cohabiter : les partisans de la ruse, à la suite d’Ulysse, mettent l’accent sur la manoeuvre, l’économie des forces, le mouvement, la surprise, tandis que les partisans de la “force ouverte” après Achille ont la culture du nombre, du choc et de la concentration des moyens.
La réflexion d’Holeindre très inspirée par l’ouvrage fondateur “Les ruses de l’intelligence” de Jean-Pierre Vernant et et Marcel Destienne met en évidence les deux visages possibles de la guerre : celui d’Achille et celui d’Ulysse. A l’heure où les groupes terroristes développent des stratégies peu conventionnelles, la reconnaissance mutuelle entre soldats a laissé place à l’évitement, les attaques ciblées de drones répondant aux attentats suicides. On comprend alors que la lecture d’un tel ouvrage devient indispensable. Une autre histoire de la stratégie qui permettra de penser autrement les guerres d’aujourd’hui et de demain.
Hugues DE SINGLY (CULTURE-CHRONIQUE.COM)