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Ecrire l'histoire de la plèbe romaine, c'est brosser le portrait d'une majorité souvent laissée silencieuse. Les hommes et les femmes mis en lumière dans ce livre furent pourtant bien moins des marginaux au sens strict, qu'ils ne furent marginalisés, ou plutôt minorisés, par les auteurs antiques, puis par la science historique. Entre le Ier siècle avant J. -C. et IIe siècle après J. -C. , ils furent en effet plusieurs millions, appartenant aux catégories sociales inférieures et intermédiaires de la communauté civique, à former la plèbe, par opposition à l'aristocratie.
Privilégiant le point de vue des habitants "ordinaires" sur celui de l'élite de la cité et se nourrissant autant que possible de destins individuels, Nicolas Tran dépeint à la fois les rapports sociaux et les espaces de vie collective dans la capitale romaine, raconte la vie quotidienne, familiale, amicale et professionnelle de ses habitants, éclaire leurs revendications, portées par des chefs de file, les tribuns de la plèbe, dont la richesse n'était souvent guère inférieure à celle des patriciens.
Se refusant à réduire ces hommes et ces femmes à une seule facette de leur identité, qui aurait déterminé leur existence tout entière, c'est finalement une véritable introduction à l'histoire de la Rome antique et des Romains que livre l'auteur.
Présentation circonstanciée et éclairante de la Rome antique populaire
D’emblée, j’apprécie le fait que Nicolas Tran n’emploie pratiquement pas l’expression hypocrite à la mode « notre ère » afin d’occulter qu’il s’agit de l’ère chrétienne, et écrit « av./apr. J.-C. », puisque « notre ère » débute avec la naissance du Christ. Ensuite, dans son histoire de la plèbe romaine, Nicolas Tran, qui remet en cause la vision misérabiliste de la Rome populaire, fait notamment mentir la célèbre formule des Satires de Juvénal, laquelle a eu une énorme influence sur le grand public et même sur beaucoup d’historiens. Je me permets de donner la phrase originale (Satire X, ligne 80) : [Populus Romanus] duas tantum res anxius optat, panem et circenses, que je traduis ainsi : « Le peuple romain désire avec inquiétude seulement deux choses : du pain et des jeux. » En effet, Nicolas Tran montre que la plèbe romaine, malgré son désir légitime de se nourrir et de se divertir, malgré les nombreux jours de fête et les distributions gratuites de blé, d’huile et de vin, devait, dans l’ensemble, travailler dur (page 96) et avait une « conscience politique » (page 76). Elle pouvait se mobiliser, entre autres raisons non matérielles, certes surtout pour dénoncer une atteinte à sa dignité de peuple-roi, censé gouverner le monde, mais aussi pour dénoncer une injustice criante, comme en 61 apr. J.-C., où elle tenta d’empêcher l’exécution des quatre cents esclaves d’un haut personnage qui venait d’être assassiné par l’un d’entre eux (page 79). En conclusion, après avoir détaillé l’extrême diversité de la plèbe romaine et de ses activités, Nicolas Tran rappelle qu’elle était à la fois dominée (par les aristocrates) et dominante (dans un univers esclavagiste), et traversée par de profondes inégalités, mais il souligne le rôle favorable des multiples groupes communautaires et des divers lieux de sociabilité. Un livre éclairant sur la société de la Rome antique, qui, pour une fois, s’attache à présenter, de manière circonstanciée, les couches populaires plutôt que les élites. A lire au calme dans sa domus ou attablé (eh oui ! les gens du peuple mangeaient assis et non allongés sur des lits) dans une popina (« taverne »), point trop bruyante !!!