Pendant une trentaine d'années, une véritable légende dorée a mythifié la Libération de la France. Celle-ci aurait consacré l'apogée de la Résistance héroïque d'un peuple unifié derrière le général de Gaulle. Puis, les trente années suivantes, le rose a viré au noir. Désormais, la Libération ne serait plus qu'un théâtre d'ombres. Au cliché de " l'union sacrée " succède celui de " la guerre civile ", et l'emphase patriotique ne masquerait que les appétits de pouvoir. Chacune de ces visions comporte sa part de vérité, mais surtout une forte dose d'approximations.
A présent que les passions se sont apaisées, ce livre se propose de faire le point sur cette période complexe, pendant laquelle se sont fixés nombre des traits qui ont conditionné, depuis, toute l'histoire de France. Tous les Français ne vécurent pas ces événements à l'identique car, à la Libération, deux France, que tout oppose, coexistent. D'un côté, une France qui a connu les maquis, les combats, les massacres, les cours martiales, les cadavres trouvés au petit matin, et les cours de justice prononçant des condamnations à mort. Dans cette France, la mort est avant tout infligée par l'adversaire politique. Et cette France est celle qui rêve tout éveillée, qui s'est persuadée qu'elle s'était libérée seule. Dans la seconde France en revanche, la guerre franco-française fut infiniment plus atténuée, la mort provenait essentiellement du ciel et la liberté s'incarna avant tout dans la figure nonchalante des GI's. Cette France qui est libérée au cours de l'été 1944 est un pays malade, dont le tissu social s'est largement déchiré lors des années précédant la guerre. Or la défaite et l'Occupation ont porté au paroxysme cette crise identitaire au demeurant polymorphe, puisque la crise de l'identité nationale rencontre celle de l'identité masculine. Grâce aux mythes complémentaires de l'insurrection nationale - également servi et instrumentalisé par les gaullistes et les communistes - et de " la poignée de traîtres " ou de " femmes pécheresses ", la Libération représenta une tentative de résoudre cette double crise identitaire. Elle le fit en partie par des faux-semblants : l'identification à la Résistance, et la vision de la souffrance endurée et de la dignité conservée.