L'Homme creux, c'est d'abord l'homme du Struthof, celui du monument, en creux dans la pierre. L'homme renié, nié, vidé de sa chair au point de n'avoir plus de restes. A l'autre bout de l'Europe, c'est aussi l'homme de Stalingrad, celui dont le cadavre est resté à pourrir sur le champ de bataille. Celui-là au moins avait des restes. Dérision. C'est sur cette toile de fond, la dérision, que se déplacent, comme des ombres, les personnages de ce récit. L'étonnant est que des hommes aient pu traverser notre siècle convulsif sans s'apercevoir qu'il était jonché de cadavres. Hommes creux aussi ceux-là, mais dans un sens bien différent. Notre " homme creux " est l'un d'eux, qui n'est jamais sorti de lui-même. Il a parfois côtoyé le malheur - le malheur ordinaire - mais il est resté en dehors. Il est revenu de tout sans être allé nulle part. Il n'a jamais aimé. Peut-être, vers la fin de sa vie, a-t-il été effleuré par la grâce. Il lui faut expliquer les larmes qui, un jour, à sa grande surprise, ont jailli de ses yeux. Peut-être, après tout, est-il vivant. Il serait gênant d'appeler anti-héros un personnage aussi falot. Il faut, pour être anti-quoi -que-ce-soit, plus de consistance qu'il n'en a. Il y a par contre, dans ce roman, un héros authentique. L'oncle Lucien, cet homme tranquille, a, par quatre fois, dit à la vie un oui passionné : oui à l'amitié, oui au sacrifice et au combat contre l'envahisseur, oui à l'amour, et finalement, après que la vie l'aura meurtri, oui à Dieu. Il a payé très cher son engagement total, mais cela en valait la peine. Il a ainsi accompli son métier d'homme, avec une discrétion exemplaire, mais en toute plénitude. Des Marches de l'Est aux rives de la Volga, la comparaison entre ces deux destins, chacun exemplaire à sa façon, est le sujet du livre.