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Au début de la IIIe République, la pornographie, répandant le feu du désir pervers, représentait aux yeux d'une élite un redoutable poison menaçant de ronger de l'intérieur l'édifice social. L'alphabétisation, qui multiplie les lecteurs, la liberté de la presse et le développement de l'édition n'allaient-ils pas favoriser la diffusion des écrits obscènes ? Par-delà les clivages politiques ou religieux, de puissantes ligues de moralité se constituèrent, en France et à travers toute l'Europe, bien décidées à protéger le public "faible" et vulnérable - le peuple, les adolescents, et les femmes surtout - contre la suggestion du roman licencieux.
Et faisant front contre le vice, la natalité déclinante et la décadence, les "entrepreneurs moraux" parvinrent, leur influence grandissant, à limiter la liberté d'expression. A partir de l'Enfer de la Bibliothèque nationale, où l'on rassemble alors les livres interdits, Annie Stora-Lamarre a mis au jour une culture soigneusement refoulée, et a analysé la lente métamorphose des thèmes occultés. Traçant le portrait d'éditeurs réprouvés, souvent liés aux milieux libertaires, ou de ligueurs - tel René Bérenger, le fameux "Père la Pudeur" - elle a finement observé le jeu complexe de la diffusion, avec ses réseaux clandestins, et de la répression des ouvrages érotiques : elle suit ainsi, de 1881 à 1914, la lutte des censeurs et des pornographes.
Histoire des fantasmes sexuels, mais aussi des peurs et des intolérances d'une époque, histoire politique d'une morale, cet ouvrage novateur éclaire, d'une façon qui nous concerne toujours, les rapports paradoxaux de la démocratie et de la censure.