Le livre est écrit, comme l’annonce les premières lignes, pour démontrer que « Lorsque Jules Ferry entra sur la scène scolaire, l’école était, en France, depuis plusieurs siècles, à la fois gratuite et obligatoire » et que cette instauration d’une scolarisation gratuite (au moins pour les enfants pauvres) et obligatoire est essentiellement l’œuvre de l’époque médiévale et d’Ancien Régime, sous l’impulsion décisive des catholiques et d’initiatives privées. Œuvre détruite par la Révolution Française et patiemment reconstruite par les congrégations religieuses
et les ministres de la Restauration, de la Monarchie de Juillet et du Second Empire, Jules Ferry n’ayant en fait réellement introduit qu’une nouveauté : la laïcité, manifestement regrettée, si ce n’est pas condamnée, par l’auteure qui la présente comme une idéologie anticléricale.
L’auteur, agrégée de Lettres classiques, prend appui dans sa démonstration sur des faits historiques incontestables : elle cite les multiples textes de toute nature qui, de Charlemagne à Louis XIV, ont effectivement incité à la gratuité de l’enseignement pour les plus pauvres et régulièrement déclaré l’obligation scolaire. Elle signale les enjeux spirituels et moraux de cet engagement des catholiques dans les politiques scolaires et met en évidence le rôle des congrégations et des ordres religieux militants dans la mise en place d’une école qui s’adressait aussi (voire pour certains, comme Démia ou de La Salle, prioritairement) à des enfants pauvres. Elle montre que la période révolutionnaire est un moment de perturbation de cette volonté de scolarisation, car l’opposition aux congrégations religieuses ne s’est pas accompagnée de la mise en place d’un corps enseignant laïque en situation de les remplacer. Elle montre également comment des décisions politiques ont été importantes bien avant Jules Ferry, durant les régimes monarchiques et impériaux, dont celles prises sous Napoléon 1er, ou encore par Guizot, par Duruy,… Et il est vrai que lorsque les lois Ferry sont votées, une très grande majorité d’enfants fréquente déjà, au moins temporairement, l’école primaire. Ces lois, il faut pourtant le dire, institutionnalisent l’obligation de fréquentation assidue et la gratuité.
Cependant, ces faits historiques sont présentés de façon clairement biaisée : d’un côté, le lecteur est conduit à penser qu’il suffisait de décréter l’obligation ou la gratuité sous l’Ancien régime pour que se mette en place une éducation populaire gratuite, alors que toutes les études montrent que, si un enseignement populaire a effectivement existé avant la Révolution Française, le taux d’enfants concernés était (et est longtemps resté) très minoritaire et n’a strictement rien à voir avec ce qui s’est progressivement mis en place au XIXe siècle et a été définitivement institutionnalisé à partir des lois Ferry. Le seul moment où le livre confronte les intentions et la réalité, c’est précisément lorsqu’il s’agit d’opposer le foisonnement de projets d’instruction publique, durant la période révolutionnaire, aux réalisations effectives.
Encore faudrait-il étudier concrètement les apprentissages réels des élèves, par-delà les affichages programmatiques, durant cette scolarisation. Si, par exemple, tout atteste que les écoles des Frères Chrétiens initiées par de La Salle proposaient vraisemblablement un enseignement efficace, rien ne permet de généraliser à l’ensemble de ce qui s’appelait alors école.
D’un autre côté, n’est évoqué que discrètement l’enseignement secondaire long dont il aurait fallu dire très clairement, si le livre l’avait abordé, qu’il ne concernait que très exceptionnellement des enfants du peuple (situation qui durera d’ailleurs bien après les lois Ferry) ce qui explique les querelles justement évoquées qui, durant les Lumières, portaient sur la question de savoir s’il est souhaitable d’instruire solidement le peuple (La Chalotais, adoubé sur ce point par Voltaire : « Le bien de la Société demande que les connaissances du Peuple ne s’étendent pas plus loin que ses occupations » ou, plus tard, Destutt de Tracy partisan de deux écoles distinctes destinées à deux classes sociales dont les destins sont également distincts, l’école du peuple devant être une école sommaire et de courte durée). Sachant que les divergences, voire les polémiques, contemporaines sont précisément liée à l’ouverture de l’enseignement long à la quasi-totalité d’une classe d’âge, cette impasse introduit un biais clairement inspiré par les intentions de l’ouvrage.
Enfin, bien évidemment, silence total sur le rôle historiquement essentiel des protestants, à propos duquel on signale juste, là aussi très discrètement, que l’engagement catholique dans la scolarisation du peuple était pour une bonne part inspiré par la nécessité de lutter contre leur influence.
De fait, le livre est clairement gouverné par une ligne idéologique du reste tout à fait assumée : l’enseignement n’est possible que s’il se réfère à des valeurs transcendantes, ce que la IIIe République avait d’ailleurs elle-même très bien compris, en aspirant à remplacer en matière de transcendance Dieu par la Nation – référence devenue difficile après la 2e Guerre Mondiale, ce qui serait une des causes de la déliquescence, selon l’auteure, de l’enseignement public français aujourd’hui. Enfin, le livre soutient que loin d’être gratuite, l’école l’est à certains égards moins qu’avant, puisque désormais elle est financée par l’impôt (oubliant au passage de souligner que la moitié des contribuables sont au moins dispensés de l’impôt sur le revenu). Beau paradoxe : l’enseignement était gratuit avant la République, il ne l’est plus depuis, puisqu’il est financé par l’impôt… La charité contre la solidarité…
Ces orientations du livre nourrissent par ailleurs un enjeu clairement politique : condamner « la mainmise de l’État sur l’École » et favoriser la « liberté » de l’enseignement. Ligne politique qui nourrit l’essentiel de la conclusion. Ligne cohérente, l’auteure étant par ailleurs formatrice dans l’Institut Libre de Formation des Maîtres et explicitement militante sur le terrain médiatique. Ce qu’on peut vérifier par exemple dans l’interview donné à Breizh-Info.com, où elle appelle les parents à avoir le courage de retirer leurs enfants de l’enseignement public et à opter pour les écoles privées : « les gens sont de plus en plus nombreux à avoir le courage de sortir du système. Il leur faut réapprendre à se battre pour leur liberté. Car c’est un vrai combat » ; « Il faut que les gens aient le courage de sortir de leur zone de confort, et de sortir surtout de la peur et de l’auto-censure. La situation actuelle est orwellienne ! Plus besoin de répression, les barrières sont dans la tête des gens. Heureusement nombreux sont ceux qui commencent à se libérer et à oser prendre des initiatives » (https://www.breizh-info.com/2017/10/18/79612/virginie-subias-konofal-fondation-ecole-question-centrale-ecole/).
Les références bibliographiques qu’elle signale vont dans le même sens : à côté de quelques historiens authentiques (aucun dans les conseils de lecture donnés dans le cadre de l’interview signalée plus haut), une prolifération d’auteurs et de polémistes tous engagés dans le même sens, tels que Jean-Paul Brighelli (auteur des best-seller La Fabrique du crétin et Voulez-vous vraiment des enfants idiots ?, pamphlets contre les orientations de l’Éducation Nationale, qui a déclaré dans Le Figaro du 30 septembre 2015, « adhérer à 80 % du programme FN sur l’éducation », parti pour lequel il assume avoir voté en 2015, et qui a été membre actif de 2015 à 2017 de Debout la France et conseiller de Nicolas Dupont-Aignan) ; Alain Finkielkraut, dont on connaît les positions relatives à l’École française ; Philippe Némo (philosophe politique libéral, auteur de Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry ?, mais aussi de Philosophie de l’impôt – critique des politiques fiscales de redistribution – et de La Régression intellectuelle de la France) ; François-Xavier Bellamy (tête de liste LR aux élections européennes et auteur de Les déshérités), Nathalie Bulle (L’École et son double), Emmanuel Todd (Après la démocratie) : autant d’auteurs qui eux non plus n’ont jamais dissimulé le sens de leur combat et en tout cas ne se caractérisent pas par un souci de neutralité.
Au total donc, comme l’auteure l’annonce dès l’ « avant-dire », un livre assurément très « subjectif », subjectivité revendiquée à plusieurs reprise, l’objectivité n’étant selon elle pas humaine, ce qui la conduit à considérer l’obligation de neutralité des enseignants du XXe siècle comme une idéologie partisane…
Du coup, est-ce vraiment de l’histoire ? Est-ce en instaurant de nouveaux mythes à la place de ceux qu’on peut légitimement dénoncer (Jules Ferry n’a pas plus fondé une école ex nihilo, que, comme le petit Lavisse en vigueur dans les classes de la 3è République le laissait entendre, Charlemagne aurait « inventé » l’école et, mieux encore, scolarisé ensemble les pauvres et les riches et même plutôt valorisé les premiers…) qu’on va œuvrer pour un regard lucide sur l’institution scolaire et sur la nature des difficultés qu’elle a à surmonter.
Comment prendre appui sur des réalités historiques pour défendre une thèse militante
Le livre est écrit, comme l’annonce les premières lignes, pour démontrer que « Lorsque Jules Ferry entra sur la scène scolaire, l’école était, en France, depuis plusieurs siècles, à la fois gratuite et obligatoire » et que cette instauration d’une scolarisation gratuite (au moins pour les enfants pauvres) et obligatoire est essentiellement l’œuvre de l’époque médiévale et d’Ancien Régime, sous l’impulsion décisive des catholiques et d’initiatives privées. Œuvre détruite par la Révolution Française et patiemment reconstruite par les congrégations religieuses et les ministres de la Restauration, de la Monarchie de Juillet et du Second Empire, Jules Ferry n’ayant en fait réellement introduit qu’une nouveauté : la laïcité, manifestement regrettée, si ce n’est pas condamnée, par l’auteure qui la présente comme une idéologie anticléricale.
L’auteur, agrégée de Lettres classiques, prend appui dans sa démonstration sur des faits historiques incontestables : elle cite les multiples textes de toute nature qui, de Charlemagne à Louis XIV, ont effectivement incité à la gratuité de l’enseignement pour les plus pauvres et régulièrement déclaré l’obligation scolaire. Elle signale les enjeux spirituels et moraux de cet engagement des catholiques dans les politiques scolaires et met en évidence le rôle des congrégations et des ordres religieux militants dans la mise en place d’une école qui s’adressait aussi (voire pour certains, comme Démia ou de La Salle, prioritairement) à des enfants pauvres. Elle montre que la période révolutionnaire est un moment de perturbation de cette volonté de scolarisation, car l’opposition aux congrégations religieuses ne s’est pas accompagnée de la mise en place d’un corps enseignant laïque en situation de les remplacer. Elle montre également comment des décisions politiques ont été importantes bien avant Jules Ferry, durant les régimes monarchiques et impériaux, dont celles prises sous Napoléon 1er, ou encore par Guizot, par Duruy,… Et il est vrai que lorsque les lois Ferry sont votées, une très grande majorité d’enfants fréquente déjà, au moins temporairement, l’école primaire. Ces lois, il faut pourtant le dire, institutionnalisent l’obligation de fréquentation assidue et la gratuité.
Cependant, ces faits historiques sont présentés de façon clairement biaisée : d’un côté, le lecteur est conduit à penser qu’il suffisait de décréter l’obligation ou la gratuité sous l’Ancien régime pour que se mette en place une éducation populaire gratuite, alors que toutes les études montrent que, si un enseignement populaire a effectivement existé avant la Révolution Française, le taux d’enfants concernés était (et est longtemps resté) très minoritaire et n’a strictement rien à voir avec ce qui s’est progressivement mis en place au XIXe siècle et a été définitivement institutionnalisé à partir des lois Ferry. Le seul moment où le livre confronte les intentions et la réalité, c’est précisément lorsqu’il s’agit d’opposer le foisonnement de projets d’instruction publique, durant la période révolutionnaire, aux réalisations effectives.
Encore faudrait-il étudier concrètement les apprentissages réels des élèves, par-delà les affichages programmatiques, durant cette scolarisation. Si, par exemple, tout atteste que les écoles des Frères Chrétiens initiées par de La Salle proposaient vraisemblablement un enseignement efficace, rien ne permet de généraliser à l’ensemble de ce qui s’appelait alors école.
D’un autre côté, n’est évoqué que discrètement l’enseignement secondaire long dont il aurait fallu dire très clairement, si le livre l’avait abordé, qu’il ne concernait que très exceptionnellement des enfants du peuple (situation qui durera d’ailleurs bien après les lois Ferry) ce qui explique les querelles justement évoquées qui, durant les Lumières, portaient sur la question de savoir s’il est souhaitable d’instruire solidement le peuple (La Chalotais, adoubé sur ce point par Voltaire : « Le bien de la Société demande que les connaissances du Peuple ne s’étendent pas plus loin que ses occupations » ou, plus tard, Destutt de Tracy partisan de deux écoles distinctes destinées à deux classes sociales dont les destins sont également distincts, l’école du peuple devant être une école sommaire et de courte durée). Sachant que les divergences, voire les polémiques, contemporaines sont précisément liée à l’ouverture de l’enseignement long à la quasi-totalité d’une classe d’âge, cette impasse introduit un biais clairement inspiré par les intentions de l’ouvrage.
Enfin, bien évidemment, silence total sur le rôle historiquement essentiel des protestants, à propos duquel on signale juste, là aussi très discrètement, que l’engagement catholique dans la scolarisation du peuple était pour une bonne part inspiré par la nécessité de lutter contre leur influence.
De fait, le livre est clairement gouverné par une ligne idéologique du reste tout à fait assumée : l’enseignement n’est possible que s’il se réfère à des valeurs transcendantes, ce que la IIIe République avait d’ailleurs elle-même très bien compris, en aspirant à remplacer en matière de transcendance Dieu par la Nation – référence devenue difficile après la 2e Guerre Mondiale, ce qui serait une des causes de la déliquescence, selon l’auteure, de l’enseignement public français aujourd’hui. Enfin, le livre soutient que loin d’être gratuite, l’école l’est à certains égards moins qu’avant, puisque désormais elle est financée par l’impôt (oubliant au passage de souligner que la moitié des contribuables sont au moins dispensés de l’impôt sur le revenu). Beau paradoxe : l’enseignement était gratuit avant la République, il ne l’est plus depuis, puisqu’il est financé par l’impôt… La charité contre la solidarité…
Ces orientations du livre nourrissent par ailleurs un enjeu clairement politique : condamner « la mainmise de l’État sur l’École » et favoriser la « liberté » de l’enseignement. Ligne politique qui nourrit l’essentiel de la conclusion. Ligne cohérente, l’auteure étant par ailleurs formatrice dans l’Institut Libre de Formation des Maîtres et explicitement militante sur le terrain médiatique. Ce qu’on peut vérifier par exemple dans l’interview donné à Breizh-Info.com, où elle appelle les parents à avoir le courage de retirer leurs enfants de l’enseignement public et à opter pour les écoles privées : « les gens sont de plus en plus nombreux à avoir le courage de sortir du système. Il leur faut réapprendre à se battre pour leur liberté. Car c’est un vrai combat » ; « Il faut que les gens aient le courage de sortir de leur zone de confort, et de sortir surtout de la peur et de l’auto-censure. La situation actuelle est orwellienne ! Plus besoin de répression, les barrières sont dans la tête des gens. Heureusement nombreux sont ceux qui commencent à se libérer et à oser prendre des initiatives » (https://www.breizh-info.com/2017/10/18/79612/virginie-subias-konofal-fondation-ecole-question-centrale-ecole/).
Les références bibliographiques qu’elle signale vont dans le même sens : à côté de quelques historiens authentiques (aucun dans les conseils de lecture donnés dans le cadre de l’interview signalée plus haut), une prolifération d’auteurs et de polémistes tous engagés dans le même sens, tels que Jean-Paul Brighelli (auteur des best-seller La Fabrique du crétin et Voulez-vous vraiment des enfants idiots ?, pamphlets contre les orientations de l’Éducation Nationale, qui a déclaré dans Le Figaro du 30 septembre 2015, « adhérer à 80 % du programme FN sur l’éducation », parti pour lequel il assume avoir voté en 2015, et qui a été membre actif de 2015 à 2017 de Debout la France et conseiller de Nicolas Dupont-Aignan) ; Alain Finkielkraut, dont on connaît les positions relatives à l’École française ; Philippe Némo (philosophe politique libéral, auteur de Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry ?, mais aussi de Philosophie de l’impôt – critique des politiques fiscales de redistribution – et de La Régression intellectuelle de la France) ; François-Xavier Bellamy (tête de liste LR aux élections européennes et auteur de Les déshérités), Nathalie Bulle (L’École et son double), Emmanuel Todd (Après la démocratie) : autant d’auteurs qui eux non plus n’ont jamais dissimulé le sens de leur combat et en tout cas ne se caractérisent pas par un souci de neutralité.
Au total donc, comme l’auteure l’annonce dès l’ « avant-dire », un livre assurément très « subjectif », subjectivité revendiquée à plusieurs reprise, l’objectivité n’étant selon elle pas humaine, ce qui la conduit à considérer l’obligation de neutralité des enseignants du XXe siècle comme une idéologie partisane…
Du coup, est-ce vraiment de l’histoire ? Est-ce en instaurant de nouveaux mythes à la place de ceux qu’on peut légitimement dénoncer (Jules Ferry n’a pas plus fondé une école ex nihilo, que, comme le petit Lavisse en vigueur dans les classes de la 3è République le laissait entendre, Charlemagne aurait « inventé » l’école et, mieux encore, scolarisé ensemble les pauvres et les riches et même plutôt valorisé les premiers…) qu’on va œuvrer pour un regard lucide sur l’institution scolaire et sur la nature des difficultés qu’elle a à surmonter.