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La notion de génie a été l'un des grands mythes de la modernité. Depuis la fin du XVIIIe siècle, elle justifie l'existence d'individus exceptionnels, pourvus de facultés créatrices ou intellectuelles qui les distinguent des autres hommes. Artistes (Beethoven, Picasso), scientifiques (Einstein), mais aussi génies militaires (Napoléon) et même génies du mal (Hitler), ils fascinent le commun des mortels et suscitent, parfois, un véritable culte.
Le génie, nous révèle Darrin M McMahon, possède une plus longue histoire, qui plonge ses racines dans l'Antiquité grecque et dans la sainteté médiévale. Dans une fresque magistrale, savante et alerte, il retrace l'évolution de cette "fureur divine" qui inspirait les poètes de la Renaissance. La conception romantique du génie apparaît alors comme une conséquence paradoxale du désenchantement du monde et de l'égalité démocratique : l'homme de génie est devenu à son tour créateur.
Si les tentatives d'explication scientifique du phénomène se sont, en vain, multipliées, ce livre montre tout ce que le génie moderne, apparemment sécularisé, doit à l'héritage religieux. Car croire en l'existence d'êtres géniaux, n'est-ce pas affirmer la présence du merveilleux et le pouvoir surnaturel de certains hommes ?
RECOMMANDÉ PAR LE SITE CULTURE CHRONIQUE
Voilà l’un de ces ouvrages qu’il faudrait absolument lire tout simplement parce qu’il met en évidence l’un des thèmes mythiques de notre époque, celui du génie. Au fond nous savons tous ce qu’est un génie mais nous nous sommes rarement interrogés sur l’origine de cette notion. L’historien américain Darrine McMahon nous propose une exploration exigeante et approfondie de ce phénomène intrinsèquement lié à la modernité. McMahon n’hésite pas à faire la généalogie du génie en remontant jusqu’à l’antiquité, mettant en évidence l’influence de l’héritage religieux dans l’élaboration d’une notion qui fut, ensuite, profondément sécularisée lors de la période romantique.
L’auteur investit la longue durée avec une justesse de ton et une maitrise toute anglo-saxonne des faits et des évènements. On est transporté à travers le temps avec délices et on découvre les articulations d’une notion qui évolue en traversant les époques. On chemine auprès d’Aristote, de Jean Sébastien Bach, de Charles Darwin, de Kant et de Keynes, de Newton et de Napoléon et évidemment Einstein que McMahon utilise comme fil rouge.
On peut voir une grande ironie dans le fait que le génie ait disparu en tant que catégorie de la recherche, tout en connaissant une explosion comme figure clef de la culture populaire. Finalement plus nous en apprenons sur la nature collaborative de la créativité, dans un monde où la complexité et l’interconnexion se font croissants, plus le mythe du génie solitaire devient attrayant. Bien sûr d’autres forces contribuent-elles à garder vivant la croyance dans le génie et dans la possibilité d’individus spéciaux dont les dons naturels et les facultés innées semblent déterminer à l’avance leur succès.
McMahon émet d’ailleurs l’hypothèse qu’une forte croyance dans les dons naturels puisse soulager un peu la pression que nous subissons. Elle permettrait d’expliquer indirectement une partie de nos insuffisances comme le résultat de dotations génétiques. Enfin il souligne que la croyance au génie est liée à l’énorme besoin de transcendance généré par l’humanité : croire au génie, c’est un peu continuer à croire au merveilleux.
La remarquable traduction de Christophe Jaquet facilite ce voyage “génial” de l’antiquité à nos jours et nous permet de saisir la complexité d’une notion qui accompagne l’homme depuis - presque – toujours.
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE)